mardi 2 mars 2021

l'Armorial de La Planche - 1669 - Gouvernement de Provence - Sénéchaussées de Digne et de Forcalquier - 1ère partie

 S   uite de la visite d'un des plus anciens manuscrits répertoriant des armoiries de villes et de villages de France, dessinées à la plume et peintes à l'aquarelle, antérieur de trois décennies à l'Armorial Général de France de Charles d'Hozier ! Voir la description initiale : →

  Nous poursuivons avec la découverte du "livre" (c'est l'appellation donnée à une section d'un manuscrit, qui est lui-même divisé en chapitres) consacré au Gouvernement de Provence. Après les premiers chapitres consacrés aux Sénéchaussées d'Aix, de Brignoles, de Marseille, de Toulon, de Draguignan et de Grasse nous abordons deux nouvelles sénéchaussées: celle de Digne et celle de Forcalquier.  Ces subdivisions administratives de l'Ancien régime, abrogées sous la Révolution, ont servi de base pour former en 1790 le département des Basses-Alpes, renommé plus tard, en 1970, Alpes-de-Haute-Provence. Quelques cantons seront détachés à l'ouest pour compléter le département du Vaucluse (Apt, Sault, Gordes), ou la Drôme (Séderon), au nord: les Hautes-Alpes (Barcillonnette) et à l'est celui des Alpes-Maritimes (Guillaumes). Voici donc le quatrième chapitre consacré aux deux entités réunies par l'auteur du manuscrit.


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 Voici l'extrait d'une carte datant de la fin du XVIIIe s. , donc postérieure d'un siècle, mais sur laquelle j'ai reconstitué les limites administratives de notre région :

 Vous pouvez cliquer sur toutes les images pour les agrandir :
 


 
 
 
 
  Les fragments de manuscrits proviennent à nouveau du Volume II. Pour enrichir l'étude, j'ai mis en bonus l'extrait équivalent dans l'Armorial Général de France* (1696-1711), établi par Charles-René d'Hozier, et comme auparavant, j'ai placé le blason actuel en-dessous, pour comparer les différences ou au contraire la constance des figures dans le temps.

(*)  Armorial Général de France  -  volume XXIX  -  Provence 1ère partie  
       Armorial Général de France  -  volume XXX  -  Provence  2e partie  (BNF Paris)
 
 
En raison de son exceptionnelle densité, ce sixième chapitre de la Haute-Provence fera l'objet de deux articles, tout en maintenant une cohérence géographique. Le premier volet est consacré globalement au contour de l'ancienne sénéchaussée de Digne.
 
Digne - les - Bains
(Alpes -de- Haute - Provence)

  Selon les notices habituellement rencontrées et recopiées dans de multiples publications: "la croix symbolise l'évêché, la lettre D est l'initiale de la ville, la fleur de lys est un souvenir de Charles d'Anjou, comte de Provence, les lettres L ont été ajoutées sous Louis XIV, roi de France et comte de Provence et de Forcalquier ". Ce qui est à peu près certain, c'est que ces armoiries ne sont pas attestées avant le XVIIe siècle, la période qui nous concerne. Le diocèse de Digne est très ancien, il fut érigé au IVe siècle. Les évêques de Digne étaient sous l’Ancien Régime seigneurs de la ville, mais sous la suzeraineté des comtes de Provence, puis du roi de France, lors du rattachement de la Provence à la couronne. Avec nos deux manuscrits, on constate qu'il y a néanmoins eu une évolution progressive du blason dignois : fleur de lis + lettre D seuls, puis rajout de la croix, puis adjonction des lettres L placées en miroir. Les couleurs (émaux) de chaque figure ont varié dans le même temps.


Moustiers - Sainte - Marie
(Alpes -de- Haute - Provence)

  Le blason de Moustiers-Sainte-Marie est une représentation artistique conforme au paysage (sauf les fleurs de lis !) dans lequel s'inscrit le village, établi au pied de deux immenses roches calcaires escarpées formant une vallée, reliées par une chaîne au milieu de laquelle est suspendue une étoile (voir cette gravure ancienne → ICI ou  cette photo récente → ICI). La singulière étoile de Moustiers est réellement accrochée à une chaîne, tendue entre deux montagnes, à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du sol. Selon la légende rapportée par Frédéric Mistral, la plus connue, il s'agit d'un ex-voto : le chevalier de Blacas, qui fut fait prisonnier en croisade par les Mamelouks à Damiette en 1249, fit la promesse de consacrer un monument à la Vierge s'il revenait un jour en son fief. Revenu sain et sauf, il a tenu sa promesse et a fait suspendre une étoile à seize branches, emblème de sa famille. Mais d'autres légendes sont rapportées pour tenter d'expliquer l'origine et la symbolique de cette étoile mystérieuse (voir ce site → ICI).


Senez
(Alpes -de- Haute - Provence)

  Nous pouvons constater ici la première divergence établie sur l'antériorité du blason de cette petite ville néanmoins siège d'un évêché et disposant d'une cathédrale. La Planche nous propose un bélier passant, qui pourrait peut-être plutôt représenter le chapitre des chanoines de la cathédrale, comme celui que nous retrouvons enregistré dans l'Armorial Général de France ( voir → ICI). Les édiles de "la ville" de Senez ont transmis à Monsieur d'Hozier, suite à l'édit royal de 1696, un blason différent : "De gueules à la ville d'argent, essorée et ajourée de sable, surmontée de trois fleurs de lis d'or rangées en chef" qui, au passage a fait une faute d'orthographe : Senex au lieu de Senez.


Castellane
(Alpes -de- Haute - Provence)

 Cette fois, notre auteur jésuite a attribué à la ville de Castellane les armes (parlantes) de la famille provençale éponyme des Castellane, une des plus anciennes familles nobles subsistantes de France. Charles d'Hozier ne l'a pas répertoriée dans son Armorial Général de France en tant que ville, sans doute suite à un oubli ou une négligence des représentants. Mais il a néanmoins référencé: le "Corps du siège de la ville", c'est-à-dire, à priori, l'ensemble des magistrats municipaux, et ce avec le blason de la couronne de France. Plus tard, la cité s'est dotée d'un blason spécifique, inspiré par les deux précédents.

 

Entrevaux
(Alpes -de- Haute - Provence)

  Le nom d'Entrevaux vient du latin "Inter vales" qui signifie entre les vallées. Encore une fois les deux blasons provenant des deux manuscrits sont totalement différents. Le premier est composé de trois montagnes "triples" surmontées de fleurs de lis d'or. La Planche ne nous donne malheureusement jamais ses sources ni aucune explication en ce qui concerne l'héraldique.  Les armoiries publiées dans l'Armorial Général de France représentent deux flancs de montagne escarpée, reliés par un pont, sous lequel coule une rivière. Ce type d'image pourrait bien illustrer un toponyme de type "Entre.monts" mais ne correspond pas à celui d' "Entrevaux". En l’occurrence il s'agit visiblement et tout simplement de matérialiser la configuration géographique du village, réduit à ce pont, dans la vallée encaissée du Var.


Guillaumes
(Alpes - Maritimes)

  Très souvent, on l'a déjà évoqué dans mes sujets précédents, l'auteur du manuscrit a préparé comme ici,  un emplacement pour y dessiner les armoiries des villes pour lesquelles il a rédigé un descriptif. Mais les écus sont restés désespérément vides. Nous en ignorons toujours la raison : manque d'information fiable, manque de temps, on ne le saura jamais.
   Il s'avère donc que les premières armoiries connues et adoptées par le village de Guillaumes, aujourd'hui commune du département des Alpes-Maritimes, ont été enregistrées dans l'Armorial Général de France sur la base de la déclaration spontanée faite par la communauté des habitants, en application de l'édit royal de novembre 1696. Le premier quartier avec le champ d'azur est composé de l'initiale G de la ville surmontée d'une fleur de lis d'or, rappelant les armes "modernes" de la Provence. Le second quartier "d'or à trois pals de gueules" évoque l'ancienne dépendance de la Provence aux comtes de Barcelone, par le rappel de leurs armes (diminué d'un pal).
  Le territoire et la ville de Guillaumes qui étaient depuis des siècles une possession des comtes de Provence, puis du royaume de France, seront annexés au Comté de Nice en 1760, en vertu du traité de Turin  et ne reviendront définitivement à la France (hormis durant la période Révolution/Empire, de 1792 à 1815) qu'en 1860, avec le rattachement de la Savoie et du Comté de Nice.  


Seyne
(Alpes -de- Haute - Provence)

 Comme précédemment, La Planche nous a laissé un écu vide. Le blason actuel découle donc ici encore de celui enregistré dans l'Armorial Général de France avec ces trois colonnes surmontées d'une Croix de Jérusalem, le tout d'or sur champ d'azur. Toutefois sa symbolique n'est pas établie et ne le sera probablement jamais, faute de document attesté, faisant preuve.


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D'autres lieux ou villes sont juste décrits par le texte, sans blason ni mention s'y rapportant :

Barrème, Moriez, Brandis (ancien lieu proche de Castellane), Pieresc (= Peyresq, ancienne commune intégrée dans celle de Saint-Michel-Peyresc, puis dans celle de Thorame-Haute), Annot et Colmars.


 # cependant, quelques années plus tard, certaines villes (en gras, ci-dessus) ont été enregistrées et blasonnées dans l'Armorial Général de France. Certains blasons sont toujours d'actualité, à quelques petits détails près :

Barrème
(Alpes -de- Haute - Provence)

Moriez
(Alpes -de- Haute - Provence)

Peyresq
(Alpes -de- Haute - Provence)

Annot
(Alpes -de- Haute - Provence)

Colmars
(Alpes -de- Haute - Provence)

  # enfin, pour aller plus loin avec l'Armorial Général de France, on peut encore rajouter ces dernières localités qui dépendaient à priori de ces deux sénéchaussées, devenues aujourd'hui des communes importantes, et qui n'ont pas été mentionnées dans le manuscrit de La Planche :
Saint-André-les-Alpes, Aiglun, La Motte-du-Caire, Turriers et Barcillonnette.

 et leurs blasons respectifs sont, à quelques détails ou brisures près, toujours d'actualité :

Saint - André -les- Alpes
(Alpes -de- Haute - Provence)

Aiglun
(Alpes -de- Haute - Provence)

La Motte -du- Caire
(Alpes -de- Haute - Provence)

Turriers
(Alpes -de- Haute - Provence)

Barcillonnette
(Hautes - Alpes)


   Un très grand nombre d'autres bourgades de la région, nommées simplement "communauté du lieu de..." (Com. du lieu de...), dans les registres de l'Armorial Général de France, ont été identifiées et enregistrées avec des armoiries souvent authentiques, car transmises par les représentants légaux de ces villages, mais quelquefois attribuées d'office par défaut. Il serait fastidieux de les lister toutes ici, d'autant que certaines localités ont été absorbées par les nouvelles communes constituées après la Révolution. Toutefois vous pouvez vous amuser à les rechercher dans les ouvrages numérisés chez Gallica, dont je donne les liens ci-dessous, et accessoirement aussi dans les très intéressantes fiches listées département par département sur le site : armorial de france.fr


A bientôt pour une nouvelle série ... → ICI


Crédits :

les blasons "modernes" sont empruntés  à : armorialdefrance.fr/

les extraits des manuscrits proviennent de :
- Bibliothèque et Archives du Musée du Château de Chantilly :
   . www.bibliotheque-conde.fr/ressources-en-ligne/
- Bibliothèque nationale de France à Paris : 
   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111476m/f2.item
   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1114770/f2.item

 💶 Appel au mécénat ou aux généreux donateurs :
 Au cours d'échanges d'informations avec les responsables de la Bibliothèque du Musée Condé, au sujet du manuscrit, il m'a été rapporté que l'ouvrage de Pierre de La Planche n'est actuellement plus exposé ni mis à disposition des visiteurs. En effet, les deux volumes du manuscrit sont en mauvais état : "la couverture", ce que l'on nomme dans le métier: les plats de reliure, sont soit partiellement,soit totalement détachés du manuscrit, ce qui nuit à sa conservation. La reliure étant en effet là pour maintenir et protéger le manuscrit.
  Si des personnes ou des entreprises sont intéressées, en mode mécénat, pour participer à la prise en charge de la restauration de ces précieux ouvrages, qu'elles prennent contact pour les modalités, avec les bibliothécaires à cette adresse mail  : bibliotheque@domainedechantilly.com
ou sinon m'écrire à : heraldexpo@orange.fr et je transmettrai à ma correspondante privilégiée.

 

             Herald Dick  
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