Nous poursuivons avec la découverte du "livre" (c'est l'appellation donnée à une section d'un manuscrit, qui est lui-même divisé en chapitres) consacré au Gouvernement de Provence. Après les premiers chapitres consacrés aux Sénéchaussées d'Aix, de Brignoles, de Marseille et celle de Toulon nous abordons deux nouvelles sénéchaussées : celle de Draguignan et celle de Grasse. Les subdivisions administratives de l'Ancien régime ont été abrogées sous la Révolution, et ont servi de base pour former en 1790 les arrondissements actuels de Draguignan et de Grasse pour les départements du Var et des Alpes-Maritimes. Voici donc le troisième chapitre consacré aux deux entités réunies en un seul sujet.
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Voici l'extrait d'une carte datant de la fin du XVIIIe s. , donc postérieure d'un siècle, mais sur laquelle j'ai reconstitué les limites administratives de notre région :
(*) Armorial Général de France - volume XXIX - Provence 1ère partie
Armorial Général de France - volume XXX - Provence 2e partie (BNF Paris)
Draguignan (Var) |
Les armes de Draguignan sont parlantes et rappellent, s'il faut en croire la tradition, la légende du Dragon (Dracaena) qui ravageait jadis les territoires d'Ampus et de Draguignan. Il périt de la main de Saint Hermentaire, premier évêque d'Antibes et patron de la ville. Cette tradition, semblable à celle de la Tarasque que terrassa Sainte Marthe, illustre en fait, selon quelques auteurs, un symbole de la destruction du paganisme par l'évangélisation.
Le magnifique dessin du manuscrit de La Planche nous montre un dragon bipède, à queue de serpent, avec un corps d'or et des ailes d'argent. Ce genre de bête fantastique, apparentée aux dragons (qui ont eux en fait quatre pattes) est aussi appelée "vouivre" ou "guivre".
Dans l’Armorial Général de France, alors que la moindre petite paroisse de Provence figure avec ses armoiries propres en tant que Communauté d'habitants, la ville de Draguignan n'a pas fait enregistrer les siennes, pourtant bien connues : très étrange ! Celles que nous voyons ici correspondent au corps des Magistrats, sans doute les échevins de la ville, et de plus elles ont été créées de façon arbitraire par Charles d'Hozier, comme beaucoup d'autres.
plusieurs variantes récentes des armoiries de Grasse (Alpes - Maritimes) |
Grasse connut au XVe siècle, un bel essor dû au développement de la tannerie, bien avant de devenir la capitale de la parfumerie. Ceci expliquerait en partie l'origine des armes de la ville car l'agneau pascal est traditionnellement l'emblème de la corporation des drapiers. Ceci dit, les armoiries de Grasse ont connu une quantité considérable de variations au cours de son histoire, tels que nous en voyons quelques exemples ci-dessus. Agneau, tête droite, ou en arrière, terrasse ou pas terrasse, besants ou pas de besants, besants chargent l'auréole de l'agneau, ou le champ de l'écu, croix tenue par la patte dextre ou la senestre, etc... (voir ce site qui répertorie quelques images d'époques différentes ainsi que de nombreux blasonnements → ICI ). La municipalité elle-même ne semble pas avoir tranché sur un modèle définitif en conseil municipal et a maintenant adopté un logo.
Fréjus (Var) |
Fréjus, à l'instar des principales villes du littoral provençal (Marseille, Toulon, Antibes), porte dans son blason une croix, comme pièce principale. D'aucuns prétendent qu'elle est la marque des villes portuaires d'où les seigneurs embarquaient pour les Croisades. D'autres rappellent que ces quatre villes sont ou furent (Antibes, jusqu'au XIIIe s.) aussi des sièges d'évêchés.
Comme on peut le vérifier sur le premier manuscrit, cette croix était initialement "de gueules sur champ d'argent". Il semble que c'est d'Hozier qui a validé la proposition d'inverser les émaux, et c'est cette version qui a désormais cours. Quant au chef d'azur aux trois fleurs de lis, marque des "bonnes villes du royaume de France", on s'interroge encore pour savoir exactement à quelle souverain la ville le doit.
Antibes (Alpes - Maritimes) |
Même remarque que précédemment concernant l'origine de la croix d'argent sur fond d'azur. Au XVe siècle, Antibes est rattachée au royaume de France, avec tout le comté de Provence. Ceci explique la présence des quatre fleurs de lys d'or et du lambel de gueules qui proviennent du blason (moderne) de la Provence. Ce n'est que le 12 septembre 1817, quand le roi Louis XVIII, par lettres patentes, en même temps que la restauration de ses armoiries, lui accorde le rang de "bonne ville de France", que son blason est augmenté d'un chef d'azur semé de fleurs de lis d'or.
Vence (Alpes - Maritimes) |
Encore une fois, le blason enregistré dans l'Armorial général de France par la municipalité diffère par les émaux de celui qu'avait relevé Pierre de La Planche, quelques décennies plus tôt.
Saint - Paul -de- Vence (Alpes - Maritimes) |
Même remarque que précédemment, avec la ville de Vence. De plus le blason de La Planche était magnifiquement "multicolore" et chargé d'une fleur de lis dans le canton dextre du chef.
Saint - Tropez (Var) |
En l'an 68, Torpes, intendant de Néron, refusant d'abjurer sa foi chrétienne, fut torturé, martyrisé et décapité à Pise et son corps jeté dans une barque sur l'Arno en compagnie d'un coq et d'un chien censés dépecer et se nourrir du défunt Torpes. Les courants ramenèrent la barque jusqu'au rivage d'Heraclea , cité antique romaine qui deviendra la future Saint-Tropez. Cette légende est d'ailleurs représentée par un blason alternatif que l'on rencontre souvent dans la ville : " D'azur à la barque de gueules portant saint Torpes allongé, un chien et un coq, surmonté d'un ange d'argent volant au-dessus et portant une couronne dans la main". source info : vexil.prov.free.fr/st%20tropez/canton_st_tropez.html et fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Tropez#Toponymie
La ville de Saint-Tropez a fait enregistrer officiellement ses armoiries en 1697 par d'Hozier dans l'Armorial Général de France avec la graphie "St Torpez "et avec ce blasonnement, qui est celui utilisé actuellement par la municipalité: "D'azur à saint Tropez vêtu en pèlerin d'or, sa tête nimbée du même, tenant de sa main dextre, une épée d'argent, la pointe en bas".
Et pour finir, nous avons ce blason proposé par l'auteur de notre manuscrit, avec un "losangé d'argent et de gueules" qui se réfère manifestement aux armes de la maison de Grimaldi, princes de Monaco. Ce qui constitue une énigme, car les Grimaldi n'ont pas eu de fief sur ces terres, à aucun moment. Est-ce à cause de la proximité du village et du château de Grimaud dont on attribue à ses premiers seigneurs (à tort car il ne s'agit pas de la même famille) un lien avec les Grimaldi de Monaco (voir → ICI) ?
Pignans (Var) |
Nous avons ici la révélation de l'existence d'un ancien blason aux armes parlantes avec ces trois pins accompagnant l'initiale P de Pignans. D'autres armes parlantes, mais cette fois avec des pommes de pins (appelées pignes dans tout le sud de la France) ont été enregistrées dans dans l'Armorial Général de France
Lorgues (Var) |
Comme précédemment, le manuscrit de La Planche nous propose un blason tout à fait différent, mais qui n'a pas été retenu et remplacé par celui soumis par la ville à l'enregistrement officiel de l'Armorial Général de France, tel que nous le connaissons aujourd'hui, avec toutefois quelques divergences sur la race du chien ! Un blason qui a même été confirmé officiellement avec lettres patentes signées de Louis XVIII le 18 avril 1817 ( voir → ICI), lorsque la municipalité a demandé la restauration des ses anciennes armes, après la Révolution et le 1er Empire.
D'autres lieux ou villes sont juste décrits par le texte, sans blason ni mention s'y rapportant :
Grimaud, Cannes, Île de Sainte-Marguerite, île et abbaye de Saint-Honorat de Lérins (toutes rattachées à la commune de Cannes).
# cependant, quelques années plus tard, certaines villes (en gras,
ci-dessus) ont été enregistrées et blasonnées dans l'Armorial Général de
France. Ces blasons sont toujours d'actualité, pour certains, à
quelques petits détails près.
Grimaud (Var) |
Cannes (Alpes - Maritimes) |
Abbaye de Lérins (Alpes - Maritimes) |
- Fayence, Mandelieu (-la-Napoule), Mougins, Vallauris, Biot, Villeneuve (-Loubet), Cagnes (-sur-Mer), Saint-Laurent (-du-Var), Saint-Raphael, Cogolin, Vidauban, Roquebrune (-sur-Argens).
et leurs blasons respectifs sont, à quelques détails ou brisures près, toujours d'actualité :
Fayence (Var) |
Mandelieu - La Napoule (Alpes - Maritimes) |
Mougins (Alpes - Maritimes) |
Vallauris (Alpes - Maritimes) |
Biot (Alpes - Maritimes) |
Villeneuve - Loubet (Alpes - Maritimes) |
Cagnes -sur- Mer (Alpes - Maritimes) |
Saint - Laurent -du- Var (Alpes - Maritimes) |
Saint - Raphaël (Var) |
Cogolin (Var) |
Vidauban (Var) |
Roquebrune -sur- Argens (Var) |
Un très grand nombre d'autres bourgades de la région, nommées simplement "communauté du lieu de..." (Com.té du lieu de...),
dans les registres de l'Armorial
Général de France, ont été identifiées et enregistrées avec des
armoiries souvent authentiques, car transmises par les représentants
légaux de ces villages, mais quelquefois attribuées d'office par défaut.
Il serait fastidieux de les lister
toutes ici, d'autant que certaines localités ont été absorbées par les
nouvelles communes constituées après la Révolution. Toutefois vous
pouvez vous amuser à les rechercher dans les ouvrages numérisés chez
Gallica, dont je donne les liens ci-dessous, et accessoirement aussi
dans les très intéressantes fiches listées département par département
sur le site : armorial de france.fr
A bientôt pour une nouvelle série ... → ICI
les blasons "modernes" sont empruntés à : armorialdefrance.fr/
les extraits des manuscrits proviennent de :
- Bibliothèque et Archives du Musée du Château de Chantilly :
. www.bibliotheque-conde.fr/ressources-en-ligne/
- Bibliothèque nationale de France à Paris :
. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111476m/f2.item
. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1114770/f2.item
💶 Appel au mécénat ou aux généreux donateurs :
Au
cours d'échanges d'informations avec les responsables de la
Bibliothèque du Musée Condé, au sujet du manuscrit, il m'a été rapporté
que l'ouvrage de Pierre de La Planche n'est actuellement plus exposé ni
mis à disposition des visiteurs. En effet, les deux volumes du
manuscrit sont en mauvais état : "la couverture", ce que l'on nomme
dans le métier: les plats de reliure, sont soit partiellement,soit
totalement détachés du manuscrit, ce qui nuit à sa conservation. La
reliure étant en effet là pour maintenir et protéger le manuscrit.
Si des personnes ou des entreprises sont intéressées, en mode mécénat,
pour participer à la prise en charge de la restauration de ces
précieux ouvrages, qu'elles prennent contact pour les modalités, avec
les bibliothécaires à cette adresse mail : bibliotheque@domainedechantilly.com
ou sinon m'écrire à : heraldexpo@orange.fr et je transmettrai à ma correspondante privilégiée.
Herald Dick
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