S uite
de la visite d'un des plus anciens manuscrits
répertoriant des armoiries de villes et de villages de
France, dessinées à la plume et peintes à l'aquarelle,
antérieur de trois décennies à l'Armorial Général de France
de Charles d'Hozier ! Voir la description initiale :
→ ◙
Nous avons quitté, il y a quelques mois, l'exploration du manuscrit au dernier chapitre du Gouvernement de Champagne, plus précisément dans le Rethelois (voir l'épisode précédent → 🔖). Nous allons maintenant nous transporter dans une autre région, tout au sud-est de la France, mais toujours à la fin du XVIIe siècle : ce sera avec le Gouvernement général de Provence.
L'ancien comté de Provence a été rattaché à la couronne de France en 1481, peu après le décès du "Bon Roi" René d'Anjou, avant-dernier souverain d'un état indépendant de Provence (voir →ICI).
A l'époque de notre manuscrit, les contours de la province de Provence étaient bien différents de ceux que nous connaissons aujourd'hui avec la région de Provence-Alpes-Côte-d'Azur (ou PACA). Pour faire simple, elle se composait alors de la totalité des trois départements actuels des Bouches-du-Rhône, des Alpes-de-Haute-Provence et du Var, augmentés de la partie occidentale des Alpes-Maritimes (arrondissement de Grasse, limité à l'est par le fleuve du Var), de quelques cantons au sud-est de l'actuel département du Vaucluse (Sault, Gordes, Apt, Pertuis, Cadenet) et pour finir de quelques enclaves, vestiges des fiefs gagnés ou perdus au cours de l'histoire, éparpillés dans les départements actuels du Vaucluse (Mondragon), de la Drôme (Grignan, Séderon, Rémuzat), et même des Hautes-Alpes (Barcillonnette). Ces territoires étaient à l'époque enclavés dans les anciennes provinces du Dauphiné, du Comtat Venaissin et de la Principauté d'Orange. Nous reviendrons très prochainement sur ces deux dernières entités, au niveau du déroulé du manuscrit.
Cette nouvelle région administrative de la France de l'Ancien régime, fait donc
l'objet du onzième livre (section) du manuscrit, qui sera divisé en cinq chapitres, consacrés chacun à une ou deux sénéchaussées. La sénéchaussée est une
subdivision administrative intermédiaire en vigueur plutôt dans le sud
du pays, dirigée par un sénéchal. Dans le nord de la France on parle plutôt de bailliages qui sont leurs équivalents. Et pour clore ce livre, nous aurons un bonus (une addition, selon les termes de l'auteur) composé de deux chapitres supplémentaires pour couvrir d'autres territoires voisins, rattachés symboliquement au Gouvernement de Provence, mais je ne vous en dis pas plus, pour le moment.
Voici donc le premier de ces chapitres, consacré aux sénéchaussées d'Aix et de Brignoles, un territoire situé à cheval sur les départements actuels des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Var.
Voici l'extrait d'une carte datant de la fin du XVIIIe s. , donc postérieure d'un siècle, mais sur laquelle j'ai reconstitué les limites administratives de notre région :
(*) Armorial Général de France - volume XXIX - Provence 1ère partie
Armorial Général de France - volume XXX - Provence 2e partie (BNF Paris).
source info : www.collectifprovence.com/IMG/Les armoiries de la Provence.pdf
Aix -en- Provence (Bouches-du-Rhône) |
La tradition veut qu'Alphonse II, roi d'Aragon, comte de Barcelone et de Provence aie concédé à la ville d'Aix, en 1184, l'usage de ses armes (d'or à quatre pals de gueules). En 1423, les Aixois venus prêter main forte à leurs voisins Marseillais attaqués par les armées du roi d'Aragon, découvrent avec stupeur que ces envahisseurs ont les mêmes étendards qu'eux. Pour échapper à cette confusion, le conseil de la ville demanda au souverain Louis III d'Anjou, comte de Provence, l'autorisation de faire surmonter l'écu d'or aux pals de gueules, par des fleurs de lys. C'est ainsi que le chef, qui combine les armes de Jérusalem, de Naples et d'Anjou, fut accordé, par privilège royal, en 1434, en reconnaissance aux habitants d'Aix. C'était juste quelques décennies avant que la ville d'Aix, capitale du comté de Provence ainsi que toute la Provence elle-même, ne soit réunie à la couronne de France, en 1481. En effet Charles V d'Anjou, dernier comte en titre, faible et malade, sans descendance directe, avait légué par testament en 1481, au roi de France Louis XI, sa souveraineté sur la Provence, mais aussi celle sur les provinces d'Anjou et du Maine.
source texte : vexil.prov.free.fr/ et Armorial des communes de Provence de Louis de Bresc (1866), p.2-3-4.
Brignoles (Var) |
Le premier quartier est aux armes de la Provence "moderne", dans les deuxième et troisième, la lettre "B" est une première fois l'initiale de Brignoles et la seconde celle de (Raymond)- Bérenger de Barcelone, comte de Provence, le quatrième quartier est aux armes de la Provence "ancienne", c'est-à-dire d'Aragon.
On remarquera au passage que dans l'Armorial Général de France, d'Hozier lui avait attribué un blason différent : "d'or au chef de gueules chargé de trois croissants d'argent", que la ville n'a jamais adopté, préférant garder celui qu'elle a toujours porté, avec toutefois un changement d'émaux pour les quartiers 2 et 3, ce que nous révèle le manuscrit de La Planche.
Saint - Maximin - La Sainte - Baume (Var) |
Louis de Bresc (auteur de l'Armorial des communes de Provence, édité en 1866) écrit dans la fiche consacrée à cette ville: "qu'elle a toujours porté ces armes qu'elle tient de Raymond-Bérenger Ier, de la maison de Barcelone. Ce prince qui chérissait cette cité, lui donna des preuves non équivoques de son affection, en la déclarant ville royale; il lui concéda en même temps, un écusson "de gueules à 5 pals d'or" (sic*), qu'il tira de son propre blason. [...] Achard , dans sa "Géographie de la Provence" donne cette autre variante: d'or à 5 pals de gueules, surmontés d'une fleur de lis d'or. Nous retrouvons la fleur de lis ainsi disposée dans le dessin des armes de St-Maximin , placé en tête du cartulaire municipal de cette ville, publié par le savant M. Louis Rostan , p. 9 de cet ouvrage La fleur de lis fut ajoutée aux armes de St-Maximin, par concession du bon roi Henri IV, en souvenir du siège soutenu en 1590 par les habitants de cette ville contre les ligueurs. Achard a commis une erreur en faisant les pals de gueules lorsqu'ils ont été toujours d'or. Pourtant sa description est encore la plus conforme au dessin dont nous venons de parler et qui nous parait avoir été fait d'après un modèle fort ancien. Aussi lui donnerions-nous volontiers la préférence , bien que nous ayons fait graver dans nos planches des armes conformes au texte de l' Armoriai Général de d'Hozier". source texte : Armorial des communes de Provence de Louis de Bresc (1866), p.178-179.
(*) Bien évidemment: vous aurez rectifié vous-même, le blason exact de Saint-Maximin est "d'or à quatre pals de gueules surmontés d'une fleur de lis d'argent". Visiblement la fleur de lis a été ignorée par La Planche et d'Hozier a inventé un blason de toute pièce dans son Armorial Général de France.
Lambesc (Bouches-du-Rhône) |
Lambesc était érigée en baronnie, comme l'atteste l'intitulé de l'Armorial Général de France que nous voyons ci-dessus. Jusqu’au XVIIIe siècle, Lambesc accueille des seigneurs particuliers issus de grandes familles nobles. C’est en 1453 que le roi René, duc d’Anjou, de Bar et de Lorraine, et comte de Provence, achète la seigneurie. C’est certainement pour cette raison que la ville s’est alors dotée, pour ses armoiries, d'une croix patriarcale, en l'honneur aux ducs de Lorraine. source infos : www.lambesc.fr (archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.lambesc.fr%2F363-presentation.htm) et Armorial des communes de Provence de Louis de Bresc (1866), p.149.
Pertuis (Vaucluse) |
Louis de Bresc dans son "Armorial des communes de Provence", édité en 1866 (déjà cité plus haut), nous affirme que : "Ses armes (de Pertuis, avec ce blasonnement : d'or à la fasce de gueules à la fleur de lis d'azur brochant sur le tout.), lui furent concédées, en l'année 1298, par Charles II d'Anjou, dit "le boiteux", roi de Naples et de Sicile, comte de Provence, qui voulut ainsi reconnaitre la fidélité des habitants de cette ville, qu'il affectionnait beaucoup".
On trouve néanmoins ailleurs (sur le site internet de la municipalité) une autre hypothèse, associée au blasonnement actuel : D'or à la fasce abaissée de gueules, traversée par une fleur de lis d'azur : "Ces armoiries furent accordées par Charles VIII, roi de France, par lettre patente d'octobre 1493 en considération de la bonne et ancienne fidélité de ses habitants". source texte : vexil.prov.free.fr/, www.ville-pertuis.fr/index.php/decouvrir-pertuis/histoire-et-patrimoine/histoire-et-patrimoine et Armorial des communes de Provence de Louis de Bresc (1866), p.218-219.
Berre - L’Étang (Bouches-du-Rhône) |
Sur les deux manuscrits nous voyons que les armes de la ville au XVIIe siècle comportaient un champ de gueules chargé d'un lion d'or tenant dans sa patte dextre une fleur de lis du même. Aujourd'hui c'est un lion d'argent, la queue fourchue, armé, lampassé et couronné d'or; portant sur l'épaule une moucheture d'hermine de sable. Mais ce dernier serait en quelque sorte un retour aux armes originelles que la cité aurait reçues de Marie de Blois, comtesse de Provence, en 1396 et confirmées par son fils Louis II d'Anjou en 1399. Le chef, créé par Charles d'Hozier dans l'Armorial Général de France (édit royal de 1696), rappelle lui aussi la maison capétienne d'Anjou, en tant que comtes de Provence, avec deux dynasties successives de 1245 à 1481, symbolisées par cette partition: "Anjou ancien" à dextre et "Anjou moderne" à senestre. source texte : vexil.prov.free.fr/
Martigues (Bouches-du-Rhône) deux variantes historiques du blason les plus représentées |
L'auteur du manuscrit nous présente la ville sous le nom "Les Martigues" au lieu de Martigues. La raison est que cette cité, qui a été érigée en principauté en 1580, a en effet été formée par la réunion de trois anciens bourgs médiévaux: Ferrière(s), L'Isle et Jonquières, officialisée par un acte solennel établi en 1581. Ces trois anciens villages qui bordent l'étang de Berre au sud-ouest et sont séparés par les deux bras à l'embouchure du Canal de Caronte reliant l'étang à la mer Méditerranée, sont désormais des quartiers de la ville de Martigues, mais gardent leurs identités spécifiques. En ce qui concerne l'héraldique, il est admis que la tour crénelée d'argent (avec ou sans le pont) représente le quartier de L'Isle; il existait d'ailleurs une tour fortifiée avec une horloge, construite en 1560 pour défendre l'île, et qui a été détruite en 1864. Les deux clés symbolisent les deux autres quartiers : Ferrières et Jonquières. Celui de Ferrières est même identifié par l'initiale F remplaçant la clé à dextre, dans la variante des armoiries les plus récentes. Les clefs pourraient encore avoir une autre signification et indiquer que Martigues avec ses deux canaux qui unissent l'étang de Berre à la Méditerranée, est forcément par sa position la clef de l'accès à cette mer. source infos : armorialdefrance.fr , fr.wikipedia.org/wiki/Martigues et Armorial des communes de Provence de Louis de Bresc (1866), p.173-174.
[_)-(_]
👉 On remarquera pour le premier de cette suite, ce magnifique blason en forme de rébus, inventé par Charles d'Hozier à partir du nom de "Barjoux" utilisé pour la ville de Barjols, et qui serait en fait une transcription graphique correspondant à la prononciation en langue provençale (voir→ ICI).
Aups (Var) |
La Tour - d'Aigues (Vaucluse) |
Saint - Paul - lez - Durance (Bouches-du-Rhône) |
Trets (Bouches-du-Rhône) |
# et pour aller plus loin avec l'Armorial Général de France, on
peut encore rajouter ces dernières localités qui dépendaient à priori
de ces deux sénéchaussées, devenues aujourd'hui des communes importantes,
et qui n'ont pas été mentionnées dans le manuscrit de La Planche :
- Cadenet, Le Puy-Saint-Canadet (Le Puy-Sainte-Réparade), Venelles, Eguilles, Rians, Régusse, Cotignac, Pourrières, Gardanne, Bouc (-Bel-Air), Vitrolles, Marignane et Châteauneuf-les-Martigues.
et leurs blasons respectifs sont toujours d'actualité:
Cadenet (Vaucluse) |
Le Puy - Sainte - Réparade (Bouches-du-Rhône) |
Venelles (Bouches-du-Rhône) |
Eguilles (Bouches-du-Rhône) |
Rians (Var) |
Régusse (Var) |
Cotignac (Var) |
Pourrières (Var) |
Gardanne (Bouches-du-Rhône) |
Bouc - Bel - Air (Bouches-du-Rhône) |
Vitrolles (Bouches-du-Rhône) |
Marignane (Bouches-du-Rhône) |
Châteauneuf -les- Martigues (Bouches-du-Rhône) |
Un très grand nombre d'autres bourgades de la région, nommées simplement "communauté du lieu de..." (Com.té du lieu de...), dans les registres de l'Armorial
Général de France, ont été identifiées et enregistrées avec des armoiries souvent authentiques, car transmises par les représentants légaux de ces villages, mais quelquefois attribuées d'office par défaut. Il serait fastidieux de les lister
toutes ici, d'autant que certaines localités ont été absorbées par les
nouvelles communes constituées après la Révolution. Toutefois vous
pouvez vous amuser à les rechercher dans les ouvrages numérisés chez
Gallica, dont je donne les liens ci-dessous, et accessoirement aussi
dans les très intéressantes fiches listées département par département
sur le site : armorial de france.fr
A bientôt pour une nouvelle série ... → ICI
les blasons "modernes" sont empruntés à : armorialdefrance.fr/
les extraits des manuscrits proviennent de :
- Bibliothèque et Archives du Musée du Château de Chantilly :
. www.bibliotheque-conde.fr/ressources-en-ligne/
- Bibliothèque nationale de France à Paris :
. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111476m/f2.item
. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1114770/f2.item
💶 Appel au mécénat ou aux généreux donateurs :
Au
cours d'échanges d'informations avec les responsables de la
Bibliothèque du Musée Condé, au sujet du manuscrit, il m'a été rapporté
que l'ouvrage de Pierre de La Planche n'est actuellement plus exposé ni
mis à disposition des visiteurs. En effet, les deux volumes du
manuscrit sont en mauvais état : "la couverture", ce que l'on nomme
dans le métier: les plats de reliure, sont soit partiellement,soit
totalement détachés du manuscrit, ce qui nuit à sa conservation. La
reliure étant en effet là pour maintenir et protéger le manuscrit.
Si des personnes ou des entreprises sont intéressées, en mode mécénat,
pour participer à la prise en charge de la restauration de ces
précieux ouvrages, qu'elles prennent contact pour les modalités, avec
les bibliothécaires à cette adresse mail : bibliotheque@domainedechantilly.com
ou sinon m'écrire à : heraldexpo@orange.fr et je transmettrai à ma correspondante privilégiée.
Herald Dick
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire