jeudi 21 avril 2022

l'Armorial de La Planche - 1669 - Parlement de Metz - Bailliages de Sedan et de Bar

   S  uite de la visite d'un des plus anciens manuscrits répertoriant des armoiries de villes et de villages de France, dessinées à la plume et peintes à l'aquarelle, antérieur de trois décennies à l'Armorial Général de France de Charles d'Hozier ! Voir la description initiale : →

image d'illustration composée par Herald Dick

   Nous poursuivons avec la découverte du "livre" (c'est l'appellation donnée à une section d'un manuscrit, qui est lui-même divisé en chapitres) consacré au Parlement de Metz, et qui est de surcroît le dernier de cet ouvrage. Après les premiers chapitres consacrés aux bailliages de Metz, de Toul et de Verdun, couvrant eux-même l'ancien territoire des Trois-Évêchés, récemment intégré au royaume de France (1648), nous partons vers d'autres fiefs récemment annexés ou en cours de conquête. Ce sont les fameuses "additions" que Pierre de La Planche nous gratifie en fin de sections. Le premier bailliage nous emmène dans les terres  des Ardennes champenoises avec l'ancienne principauté de Sedan , elle-même regroupant d'ancien fiefs féodaux à Mouzon, Raucourt. Rattachée officiellement à la France en 1651, elle est mise sous administration du Parlement de Metz sous la dénomination de "Frontière de Champagne". Dans cette zone géographique, l'auteur adjoint quelques autres petites "additions" comme le minuscule duché de Carignan dont nous parlerons plus bas, ainsi que les villes et places fortes de la vallée de la Meuse, situées plus au nord, prises par Louis XIV, telles que Charlemont (aujourd'hui fusionnée avec la ville frontalière de Givet).
   Dans la seconde partie de ce sujet, qui correspond au cinquième chapitre de notre livre consacré au "Parlement de Metz", nous allons aborder des territoires (Barrois, Lorraine) conquis ou soumis, mais pas encore officiellement rattachés à la couronne de France. Ce ne sera effectif qu'en 1766, soit presque un siècle après la publication de notre manuscrit. Ces chapitres, La Planche les dénomme de façon diplomatique des "Additions". Le premier d'entre eux correspond au Duché de Bar ou Barrois et plus exactement le "Barrois mouvant" également appelé Barrois royal, qui est la partie occidentale du duché (limitée à l'est par le fleuve Meuse), et qui était dans la mouvance du royaume de France depuis des siècles, capitale: Bar-le-Duc. De l'autre côté de la Meuse, il y avait le "Barrois non mouvant" qui lui, faisant allégeance au Saint Empire, avec comme capitale Saint-Mihiel, et nous verrons cela dans le prochain sujet.
   Du point de vue géographique, nous suivons du nord au sud plusieurs régions et territoires traversés ou bordés par le cours de la Meuse : dans le nord-est de l'actuel département des Ardennes, dans le sud du département éponyme de la Meuse et encore plus en amont au sud, quelques communes de la Haute-Marne et des Vosges, à cheval sur la limite de ces deux départements.

  Voici donc le troisième chapitre (de mon blog) consacré à ces deux entités et leurs dépendances, réunies en un seul sujet.
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Voici l'extrait d'une carte datant de la fin du XVIIIe s. , donc postérieure d'un siècle, mais sur laquelle j'ai reconstitué les limites administratives de notre région :

 Vous pouvez cliquer sur toutes les images pour les agrandir
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 






  

 

 

 


   Les fragments de manuscrits proviennent à nouveau du Volume II. Pour enrichir l'étude, j'ai mis en bonus l'extrait équivalent dans l'Armorial Général de France* (1696-1711), établi par Charles-René d'Hozier, et comme auparavant, j'ai placé le blason actuel en-dessous, pour comparer les différences ou au contraire la constance des figures dans le temps.

(*)  Armorial Général de France  -  volume X  -  Champagne - Généralité de Châlons  (BNF Paris)
    
- Armorial Général de France  - volume XII  -  Flandres
(BNF Paris)
     - Armorial Général de France  -
volume XVIII  -  Lorraine   (BNF Paris)

Sedan (Ardennes)

  Voici, pour débuter une belle preuve de constance d'un blason dans le temps (450 ans), pour cette bonne ville de Sedan. On pense que c'est le seigneur souverain de la principauté de Sedan, Henri-Robert de La Marck qui donna ses armes à la ville de Sedan, vers 1568. Le blason faisait référence à quatre de ses ancêtres surnommés « Sangliers des Ardennes » :  Jean de La Marck (v. 1406 – 1469 ou 1470); Everard seigneur d’Arenberg ( - 1496), le sanglier apparaît sur une de ses monnaies en 1488; Guillaume de La Marck dit Guillaume à la Barbe ( ? - 1416, 1485 ?), maimbourg (gouverneur) de Liège, parfois qualifié, peut-être à tort ( ?) de « Sanglier des Ardennes » et Robert II (1460 ou 1465 – 1536), « Robert-le-Diable » ou « Le Grand Sanglier des Ardennes ». On le retrouve encore en 1614, sur des pièces de monnaies battues par les princes: un sanglier, accosté d’un chêne. Le sanglier, dans l'imagerie celtique et ardennaise est un symbole de force et d’intelligence guerrière.
  Le blason, supprimé durant la Révolution, sera rétabli à la demande de la municipalité et confirmé le 10 mai 1817 par lettres patentes signées par Louis XVIII (voir copie aux Archives Nationales → ICI). source documentation: gite-la-tour.com/files/Sedan_1570_Armoirie.pdf


Mouzon (Ardennes)

  La ville et les défenses de Mouzon, longtemps disputées entre le royaume de France et l'Empire, sont finalement conquises en 1653 par les armées de Turenne et rattachées au royaume de France en 1659, par le Traité des Pyrénées. C'est donc peu de temps après, à partir de 1696, que Charles d'Hozier enregistre ce blason dans l'Armorial Général de France, avec ce château rouge surmonté de drapeaux aux couleurs de la France. Malgré l'évocation de ce symbole militaire, toutes les fortifications de cette ancienne ville frontière seront démolies. Les armoiries ont été confirmées par lettres patentes en 1823 (voir copie aux Archives Nationales → ICI).


Carignan (Ardennes)

  L'ancienne ville et prévôté d'Yvois, aussi orthographiée Yvoi, Yvoy, Yvoix, Ivois, Ivoi, Ivoix, dépendait du duché de Luxembourg, et des Pays-Bas habsbourgeois. Elle changea de nom, en 1662, lorsque Louis XIV l'érigea en duché en faveur d'Eugène-Maurice de Savoie, prince de Carignan / Carignano, en Piémont. Par ailleurs, le territoire avait été annexé par la France, en application du traité des Pyrénées (1659). Pendant la Révolution, la municipalité reprendra temporairement le toponyme d'Yvoy. À l'inverse de la ville de Rethel qui avait pris le nom de Mazarin pendant quelque temps (voir → ICI), durant le même règne de Louis XIV, mais l'avait ensuite abandonné, Carignan a rétabli officiellement et gardé son nouveau nom en 1801.
   Mais revenons à nos manuscrits : comme à son habitude, La Planche ne nous donne aucune source ni information sur le blason à trois chevrons qu'il nous propose. S'agit-il d'un blason seigneurial, comme c'est très probable, nous l'ignorons. Peut-être un internaute me soumettra une proposition, documentée. Sans doute de bonne foi, l'auteur aura été mal renseigné, car ce blason semble erroné et n'a en tout cas pas été adopté par la municipalité. C'est donc Charles d'Hozier qui, lors de l'enregistrement de la ville dans l'Armorial Général de France, a créé de toute pièce le blason "d'azur à une fasce d'or chargée d'un cœur d'azur" à l'aide de son système de génération de figures aléatoire qu'il affectionne. Ces armoiries ont été néanmoins été confirmées telles quelles, par lettres patentes le 10 juillet 1824 (voir copie aux Archives Nationales → ICI). Ce qui prouve que la municipalité de Carignan de l'époque a adhéré totalement au concept.
  Plus récemment, la municipalité a adjoint et fait accoler au blason de d'Hozier, un second blason supposé représenter l'ancienne cité d'Yvois, avant l'annexion française: "Écartelé: aux 1er et 4e d'argent au lion de gueules, la queue fourchue et passée en sautoir, aux 2e et 3e burelé d'argent et d'azur au lion de gueules" (armes écartelées de Luxembourg ancien [Limbourg] et de Luxembourg moderne), qui aurait été accordé à la ville en 1341 par Jean Ier,  l'Aveugle, comte de Luxembourg, roi de Bohème (source: Wikipedia, voir → ICI). Constant Lapaix, auteur héraldiste du XIXe s. , dans son "Armorial des villes, bourgs et villages de la Lorraine, du Barrois et des Trois-Évêchés" (1877), voir → ICI , affirme que ce blason écartelé reproduit l'image d'un "écusson" qui apparaissait sur les sceaux de l'ancienne prévôté d'Yvois, en 1419 et 1627.


Givet (Ardennes)

  Au milieu du XVIe siècle, l'empereur Charles Quint ordonne de construire un fort pour protéger Givet, et la vallée de la Meuse en aval vers Dinant, des attaques françaises contre les Pays-Bas espagnols. Cette citadelle sera nommée "Charlemont" (= le mont de Charles) en l'honneur du souverain Charles Quint et parce qu'elle est située sur une hauteur juste en amont de Givet, sur la rive gauche de la Meuse. Les fortifications seront sans cesse renforcées, et doublées par les espagnols, durant un siècle et une petite cité de garnison se développera aux alentours. En 1678, la cité est conquise par Louis XIV. Après quoi la citadelle et la ville de Givet sont rattachés au royaume de France en exécution du traité de Ryswick, en 1697. À la même époque, Vauban reprend les plans et améliore encore les défenses de Givet et de Charlemont, cernant la ville d'une enceinte et en transformant tout le village de Charlemont en forteresse.
  Intervenant trop tôt dans l'histoire, La Planche n'a pas trouvé de blason à nous proposer pour la cité de Charlemont et par ailleurs il ne mentionne même pas la voisine et pourtant plus ancienne Givet. C'est donc Charles d'Hozier qui enregistre le premier les armoiries respectives des deux cités jumelles dans son Armorial Général de France, au volume 12 consacré à la région des « Flandres ». On remarquera que le blason de Charlement : "D'azur au sautoir d'or, au fusil de gueules brochant ", montre une ancienne figure héraldique appelée fusil (synonyme de briquet), qui était une petite pièce d’acier avec laquelle on battait un silex pour en tirer du feu, afin d'allumer la mèche et la poudre des toutes premières armes à feu, notamment. Le fusil (ou briquet, l'accessoire) est devenu par la suite, par l'évolution de la langue française l'arme à feu elle-même, telle qu'on la connait aujourd'hui. Le briquet héraldique était par ailleurs une figure au symbole fort du Duché de Bourgogne (voir → ICI), ce qui explique peut-être sa présence sur ce blason pour une ville créée par Charles Quint, héritier des Pays-Bas bourguignons, suite au démantèlement du Duché de Bourgogne en tant qu'état indépendant, à la fin du XVe siècle.
   Les armoiries de Givet-et-Charlemont "réunies sous une même municipalité" ont été confirmées par lettres patentes le 16 octobre 1817 (voir copie aux Archives Nationales → ICI). C'est donc à ce moment que la fusion des blasons des deux cités s'est effectuée, sous la forme d'un "coupé", avec plus tard quelques variations des émaux: azur/gueules pour le quartier supérieur et surtout l'arrivée d'un fusil, l'arme à feu à la place du fusil / briquet anciennement représenté. Est-ce une vraie volonté des édiles ardennais de simplifier ou actualiser le symbole par rapport à l'époque, ou bien est-ce une malencontreuse erreur de sémantique due à l'ignorance des représentants de la ville, sans doute de braves chasseurs, et qui est restée en l'état encore aujourd'hui ? Je n'ai pas trouvé d'explication documentée à ce sujet...

 

Bar -le- Duc (Meuse)

  Pour La Planche ce sont les armes historiques du duché de Bar qui font fonction d’emblème pour la ville de Bar-le Duc, auxquelles il a rajouté la devise: "Plus pense que dire" (voir l'inscription dans la marge gauche du manuscrit ci-dessus). Charles d'Hozier les a reproduites également dans son Armorial Général de France (édit royal de 1696), mais pour identifier deux entités administratives du royaume de France: le bailliage et la prévôté de Bar. Pour la ville elle-même, il a à nouveau inventé un blason typique de son système de création aléatoire:"Coupé: au 1er recoupé de sable et d'or, au 2e d'argent plain", qui est totalement anecdotique.
    Ce blason aux bars n’a pas toujours été représenté de cette façon: au XVIIe siècle l’écu était d’argent avec une pensée et un chef aux armes des ducs de Bar (voir représentation dans l'ouvrage de C. Lapaix, déjà cité plus haut, → ICI) , cependant il comportait déjà la devise. Le premier écu parti (et non pas coupé) ne serait apparu que vers 1630 (selon le site de l' U.G.C.L.), 1680 pour d'autres sources. Au final, avec toutes ces incertitudes sur sa chronologie, il semble que les armes de Bar-le-Duc telles qu'on les connaît actuellement : " Parti au premier, d'azur, semé de croix recroisetées au pied fiché d'or, à deux bars adossés de même, brochant sur le tout ; au second d'argent, à trois pensées, feuillées et tigées au naturel, posées 2 et 1 " ont été pérennisées par l'usage y compris par la municipalité, mais n'ont jamais été validées par un quelconque acte officiel. Selon Robert Louis, les armes de Bar-le-Duc sont parlantes (les poissons sont des barbeaux),  le blason des anciens ducs de Bar est associé au symbole floral de la ville, révélé par sa devise : "Plus penser (= pensées) que dire". 


Ligny -en- Barrois (Meuse)

  Ligny-en-Barrois est l'ancienne capitale d’un comté qui passa successivement des Comtes de Champagne aux Ducs de Bar, puis au Comte de Luxembourg qui le gardera jusqu’en 1719, date à laquelle la région fut incorporée aux terres du Duc de Lorraine, avant d’être annexée à la France en 1766, à la mort de ce dernier. Ses armoiries " d’azur à trois têtes de chardons d'or et à l’entrelacs de trois croissants d’argent en chef"sont répertoriées dans de nombreux armoriaux anciens sans qu'on trouve l'explication sur son origine. Les figures semblent se rapporter par un jeu de mots à la devise de la cité, qui est  :  "En mes peines, je vais croissant ", comme rapportée sur le manuscrit. 


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D'autres villes ou lieux sont juste décrits par le texte :

• Pour le bailliage de Sedan,  sans blason ni mention s'y rapportant :
 Raucourt (-et-Flaba), Donzy (Douzy).

• Pour le bailliage de Bar, sans blason ni mention s'y rapportant :
 La Mothe (village fortifié, détruit par la guerre au XVIIe s., voir → ICI , vestiges sur les communes d'Outremécourt et Soulaucourt-sur-Mouzon, dans le département de la Haute-Marne).

    Il apparait qu'aucune de ces communes n'a été recensée ni blasonnée dans l'Armorial Général de France en tant que communauté d'habitants.
 # Toutefois, on peut quand même citer ces dernières localités qui dépendaient à priori de ces deux bailliages, devenues aujourd'hui des communes importantes, et qui n'ont pas été mentionnées dans le manuscrit de La Planche :
Revin,  Fumay,  Rembercourt-aux-Pots (commune actuelle de Rembercourt-Sommaisne), Pierrefitte (-sur-Aire).

et leurs blasons respectifs sont pour certains encore d'actualité, à quelques détails près:

Revin (Ardennes)

Fumay (Ardennes)


Rembercourt - Sommaisne
(Meuse)


Pierrefitte -sur- Aire
(Meuse)

 # enfin, pour aller plus loin et terminer avec l'Armorial Général de France, voici un dernier lieu, mentionné par Charles d'Hozier et qui se situe logiquement dans le Barrois, qu'il nomme "Montier-sur-Javy", siège d'un bailliage et d'une prévôté. Ces blasons sont d'ailleurs totalement inventés par d'Hozier, comme de nombreux autres. Le toponyme "Javy" , parfois répertorié "Jarny" par certaines documentations, est probablement erroné (je n'ai rien trouvé à ce sujet). La seule localité qui corresponde à cette référence, est la ville de Montiers-sur-Saulx, En effet, Constant Lapaix, auteur du XIXe s. , dans son "Armorial des villes, bourgs et villages de la Lorraine, du Barrois et des Trois-Évêchés" (1877), voir l'exemplaire numérisé → ICI., confirme que Montiers-sur-Saulx était bien, jusqu'en 1750, le chef-lieu d'une châtellenie baroniale du Barrois, et le siège d'un bailliage et d'une prévôté. 

Montiers -sur- Saulx
(Meuse)

 

A bientôt pour une nouvelle série ...→ ICI

 

Crédits :

les blasons "modernes" sont empruntés  à : armorialdefrance.fr/ 

les extraits des manuscrits proviennent de :
- Bibliothèque et Archives du Musée du Château de Chantilly :
   . www.bibliotheque-conde.fr/ressources-en-ligne/
- Bibliothèque nationale de France à Paris : 
   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111469d/f1.item
   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111464h/f2.item

   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1105894/f2.item


             Herald Dick  

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