S uite
de la visite d'un des plus anciens manuscrits
répertoriant des armoiries de villes et de villages de
France, dessinées à la plume et peintes à l'aquarelle,
antérieur de trois décennies à l'Armorial Général de France
de Charles d'Hozier ! Voir la description initiale :
→ ◙
Nous avons laissé, il y a quelques mois, l'exploration du manuscrit au dernier chapitre du Gouvernement de Dauphiné (voir l'épisode précédent → 🔖). Avec cette nouvelle série, extraite de la dernière section du second volume, nous allons refermer le manuscrit que nous avions ouvert, il y a pile dix ans, en 2012. Elle va nous emmener dans des provinces et des territoires de l'est de la France, qui à l'époque, ont été soit récemment rattachés à la Couronne, ou bien alors étaient en cours d'occupation militaire et administrative, selon les velléités de conquêtes du roi Louis XIV, avant leur restitution (voir → ICI), pour certains, à leur ancien souverain, en exécution des différents traités de paix signés d'année en année, toujours à la fin du XVIIe siècle ou au cours du XVIIIe siècle.
Ces territoires ont été regroupés par l'auteur du manuscrit sous le titre de "Parlement de Metz, partie d'Austrasie", en référence à l'ancien royaume franc et carolingien dont Metz fut la capitale historique, et que Louis XIV voulait sans doute reconstituer, pour sa gloire personnelle et pour le rayonnement de la France en Europe.
Le Parlement de Metz était une cour de justice souveraine du royaume de France, créée en 1633 et supprimée en 1789, dont l'étendue correspondait principalement au territoire des Trois-Évêchés : les principautés épiscopales de Metz, de Toul et de Verdun, conquises par Henri II en 1552 ; il incluait aussi les territoires du Luxembourg français (Thionville) et de la Frontière de Champagne (Sedan). Les Trois-Évêchés, qui relevaient de l'Empire, sont conservés par la France lors des traités de Cateau-Cambrésis (1559) et de Vervins (1598) ; leur annexion au royaume de France sera reconnue par l'Empereur avec le traité de Münster (1648).
Cette nouvelle région administrative de la France de l'Ancien régime,
fait donc
l'objet du treizième et dernier livre (section) du manuscrit, qui sera divisé en trois chapitres, consacrés chacun à un ou deux bailliages. Le bailliage est une
subdivision administrative intermédiaire en vigueur plutôt dans le nord
du pays, dirigée par un bailli. Dans le sud de la France on parle
plutôt de sénéchaussées qui sont leurs équivalents. Et pour clore ce livre,
nous aurons des bonus (des additions, selon les termes de l'auteur) réunis en un chapitre supplémentaire, qui couvrira d'autres
provinces et territoires provisoirement annexés par Louis XIV (comme le Barrois et la Lorraine), mais ils seront bientôt restitués à l'Empire, je ne vous en dis pas plus, pour le moment.
Ce premier chapitre se rapporte au bailliage de Metz qui à cette époque correspondait au territoire administré par l'évêché de Metz, un assemblage éparpillé de paroisses lorraines, étiré en arc de cercle depuis Thionville au nord, vers Phalsbourg à l'est, en passant par Metz, bien sûr, et Vic-sur-Seille. Ces communes (paroisses) forment de nos jours une partie (environ le tiers ouest) du département de la Moselle, plus quelques unes débordant ou enclavées dans l'actuel département de la Meurthe-et-Moselle.
On est en droit de se demander de quelle source Pierre de La Planche pouvait bien tenir ces armoiries qu'il attribue à l’ancien royaume franc d'Austrasie ? À l'époque de son existence (VIe/IXe siècles), l'héraldique n'existait pas encore, puisqu'elle n'est apparue progressivement qu'à partir du milieu du XIIe siècle.
Voici l'extrait d'une carte datant de la fin du XVIIIe s. , donc postérieure d'un siècle, mais sur laquelle j'ai reconstitué les limites administratives de notre région :
Les fragments de manuscrits proviennent à nouveau du Volume II. Pour
enrichir l'étude, j'ai mis en bonus l'extrait équivalent dans l'Armorial
Général de France* (1696-1711), établi par Charles-René d'Hozier, et
comme auparavant, j'ai placé le blason actuel en-dessous, pour comparer
les différences ou au contraire la constance des figures dans le temps.
(*) Armorial Général de France - volume XVIII - Lorraine (BNF Paris)
Ce blason élaboré par Charles d'Hozier n'a qu'un intérêt anecdotique, car fabriqué de toutes pièces et à la chaîne par l'auteur parmi beaucoup d'autres (voir → ICI) pour une raison inconnue. Ces nombreux blasons attribués d'office polluent et enlèvent beaucoup de crédit à ce monumental ouvrage qu'est l'Armorial Général de France. C'est selon les experts en héraldique très regrettable, car il diminue grandement sa valeur documentaire sur le plan historique.
Metz (Moselle) |
L'origine du blason de Metz remonterait au XIVe siècle. Il portait alors le nom de "baucent", qui au Moyen Âge, qualifiait ce qui était de couleur blanche et noire, comme les chevaux pies, par exemple, ou encore l’étendard des Templiers, lui aussi noir et blanc, chargé ou pas d'une croix rouge. En héraldique, le blason de Metz est décrit ainsi : « Parti d’argent et de sable ». Ce sont les armes du Commun , groupement de familles messines qui ne faisaient pas partie des cinq associations de familles patriciennes, regroupées par quartiers : les paraiges d'Outre-Seille, de Port-Sailly, de Porte-Moselle, d'Outre Moselle et de Jurue. C'était aussi les couleurs de la République messine, gouvernement institué dans la ville de Metz au XIIIe siècle, lorsqu'elle s'affranchit de la tutelle de son évêque.
L'histoire de Metz est celle d’une ville libre d’Empire qui s’affranchit graduellement de la tutelle féodale impériale avant de devenir en 1552, une ville sous protectorat français. La suite est décrite dans le préambule plus haut.
Ces couleurs, blanc et noir ont traversé les siècles sans aucun changement fondamental, excepté le blason des "bonnes villes" attribué à Metz durant le Premier Empire, chargé d'une pucelle de carnation au naturel brandissant une épée et un drapeau bleu-blanc-rouge (voir → ICI), alors ...
.... pour quelle raison Charles d'Hozier a-t-il zappé les célèbres et multiséculaires armes de Metz ? Et de nous proposer à la place ces blasons inventés de toute pièce. Peut-être les autorités de la ville ont trop tardé, ou n'ont pas répondu aux requêtes des officiers royaux afin de fournir les renseignements demandés, avant que ne soit bouclé l'inventaire.
Vic -sur- Seille (Moselle) |
Le siège de la principauté épiscopale de Metz est transféré à Vic en 1234, quand les bourgeois messins se proclament en république pour s'affranchir de la tutelle de l'évêque. Le blason parti semble d''ailleurs s'inspirer de celui de Metz, l'émail de gueules ayant remplacé celui de sable. Vous noterez que les couleurs étaient jadis inversées par rapport à celles d'aujourd'hui.
Le toponyme de Vic provient du terme latin vicus , le village. Dans son histoire, la petite ville a porté de nombreux noms différemment orthographiés, découlant de ce toponyme, dont ceux, au Moyen-âge de Vy, Vi ou Wy, etc. Ce qui explique les deux initiales des armoiries du manuscrit de La Planche.
Marsal (Moselle) |
Le blason écartelé d'or et de gueules était déjà connu au XVIe siècle, quand le roi de France, Henri II prit possession des territoires des Trois-Évêchés. Il était également répertorié par le héraut d'armes de Lorraine, mais sans indication des couleurs. Est-ce pour cette raison que Charles d'Hozier a recensé un écartelé d'argent et de gueules ? Idem, dans de nombreux autres armoriaux, les émaux "or et gueules" sont inversés.
Sierck -les- Bains (Moselle) |
Plusieurs sources documentaires affirment que les armes actuelles de Sierck sont celles des anciens seigneurs de Sierk, vassaux des ducs de Lorraine, qui y possédaient un château fort, jusqu'à son démantèlement par les troupes de Louis XIII et de Louis XIV. Il reste cependant quelques beaux vestiges encore sur place. Ces armoiries ressemblent trop à celles de l'ancien duché de Lorraine, où les trois alérions d'argent sont remplacés par des coquilles du même métal. Et d'ailleurs d'Hozier avait enregistré pour cette ville, rattachée à la couronne de France en 1661, les armes pleines de Lorraine, telles qu'elles ont normalement dues être fournies par les autorités locales.
Dans le manuscrit de La Planche, c'est assez étonnant, nous voyons la même configuration, mais avec d'autres émaux, qui nous fait penser aux armes de la très réputée maison de Heu ( de gueules à la bande d’argent chargée de trois coquilles de sable), originaire du pays de Liège (de la ville de Huy plus exactement), et qui avait des possessions dans tout le pays de Metz, mais... pas à Sierck. Alors l'auteur a- t- il fait une confusion entres ces différentes armoiries, c'est bien possible.
Thionville (Moselle) |
Ces armoiries, existaient déjà au XIIIe siècle ; elles étaient représentées sur les sceaux de la ville. Thionville faisait partie du domaine du Comte de Luxembourg dès le XIIe siècle. En 1239, celui-ci lui octroya une charte de franchise et probablement en même temps, ses premières armoiries. Le dessin de ces armoiries a subi beaucoup de modifications au cours des siècles. Aujourd'hui il est fixé avec le blasonnement : "D'azur au château donjonné de trois tours crénelées d'or, celle du milieu plus haute que les deux autres, maçonné de sable". C'est un sceau daté de 1430, conservé dans les archives du gouvernement du Luxembourg, qui a servi de modèle.
On remarquera, au passage, le blasonnement particulier employé par La Planche, en marge, à côté de son dessin : " D'azur à 3 tours crénelées d'or tenantes l'une à l'autre, celle du milieu est plus grosse et plus haute". Mais pour sa défense, le père jésuite, bon géographe et historien, n'était pas un expert en description héraldique, nous en avons ici la preuve !
Une autre ville est juste décrite par le texte, sans blason ni mention s'y rapportant : Moyenvic
# cependant, quelques années plus tard, cette ville a été enregistrée dans l'Armorial
Général de
France. Mais le dessin de son blason semble mystérieusement inachevé ! En revanche, le registre des enregistrements et des blasonnements le décrit parfaitement et fournit l'explication, à la fin de la page 89 et au début de la page 90 ( voir → ICI) : "La ville de Moyenvic / Porte d'argent, parti d'un trait de sable. / ". Puis ce sont d'autres couleurs qui ont été retenues par la municipalité, par la suite, plus conformes aux règles de l'héraldique.
Moyenvic (Moselle) |
# enfin, pour aller plus loin avec l'Armorial Général de France, on
peut encore rajouter ces quelques dernières localités qui dépendaient de ce bailliage, devenues aujourd'hui des communes
importantes,
et qui n'ont pas été mentionnées dans le manuscrit de La Planche :
- Gorze, Saint-Quirin, Phalsbourg.
et leurs blasons correspondants, le premier est fictif, les deux suivants proviennent d'établissements religieux et ont été repris à quelques détails près, par les communes dont ils dépendent:
Gorze (Moselle) |
Saint - Quirin (Moselle) |
... et pour finir, voici cette curiosité relevée dans l'Armorial Général de France, avec le blason attribué de nos jours à la ville de Phalsbourg. Il est répertorié dans le volume I pour la Généralité d'Alsace, et non pas dans le volume XVIII de la Lorraine, alors que Phalsbourg dépendait bien du bailliage/évêché de Metz. Ensuite, la ville est nommée par Charles d'Hozier : "Philisbourg" qui devait en fait correspondre à une autre paroisse/commune, celle de Philippsbourg, située également dans le département de la Moselle actuelle, à la limite de l'Alsace. Certaines sources prétendent que c'est la municipalité de Phalsbourg qui s'était attribuée à tort ces armoiries, depuis le début du XVIIIe siècle, alors qu'elle avait auparavant un autre blason (voir ce lien → ICI).
Phalsbourg (Moselle) |
A bientôt pour une nouvelle série ... → ICI
les blasons "modernes" sont empruntés à : armorialdefrance.fr/
les extraits des manuscrits proviennent de :
- Bibliothèque et Archives du Musée du Château de Chantilly :
. www.bibliotheque-conde.fr/ressources-en-ligne/
- Bibliothèque nationale de France à Paris :
. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111469d/f1.item
. gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1105860/f2.item
Herald Dick
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