samedi 13 février 2016

Recueil d'armoiries de villes de France peintes au XVIe siècle - chapitre #01 - Parlement de Paris

blason de la ville de Senlis (Ile-de-France)
avec une surprenante version "azur et or" 
 fin du XVIe siècle - manuscrit Fr 17256
"D'azur au pal d'or,  écu soutenu d'un
lis de jardin à trois fleurs, d'argent "
(la couleur or a très mal vieilli sur ce manuscrit,
presque effacée, prêtant confusion avec l'argent)
 J'  ai quelquefois évoqué ce présent manuscrit, depuis quelques semaines, notamment dans mes commentaires autour de celui qu'on appelle "l’Armorial de La Planche". En effet : je pensais que ce dernier, daté officiellement de l'an 1669, mais dont la rédaction a en fait débordé sur au moins une bonne décennie après 1669, était l'un des plus anciens manuscrits conservé, répertoriant des armoiries de villes de France, peintes en couleurs.
  Eh bien, j'ai découvert, en triant parmi les nombreuses œuvres numérisées proposées à la consultation en ligne par les bibliothèques publiques, un manuscrit plus ancien de presque un siècle avec de surprenantes planches d'armoiries concernant pas moins de 135 villes de France, bien cachées à la fin d'un armorial consacré à l'Ordre des Hospitaliers, ainsi qu'à de grandes maisons et dynasties européennes. C'est ce petit trésor oublié de l'héraldique municipale française que je voudrais vous faire partager. Nous allons découvrir, page par page, des choses qui pourraient peut-être bien remettre en question pas mal d'hypothèses ou d'affirmations d'experts et autres auteurs de livres d'héraldique, à propos des dates d'apparition et de la composition des armes de certaines villes.

   Ce manuscrit qui ne porte pas de titre général (il est identifié sommairement par l’appellation "Recueil de blasons peints") mais porte celui de "Chevaliers de S. Jean de Jérusalem" sur la tranche de la reliure en cuir. Il est référencé: cote "Français 17256" à la Bibliothèque Nationale de France à Paris. Il est daté du XVIe siècle, donc entre 1501 et 1600, ce qui manque cruellement de précision! Mais certains contenus et la présence de certaines armoiries vont permettre de le dater beaucoup plus finement, nous allons le vérifier très rapidement. Toutefois il faut comprendre que ces manuscrits étaient commencés à une certaine époque, puis ils étaient alimentés, augmentés, rectifiés, au fil de l'eau, et au cours du temps. Cela pouvait durer plusieurs années, parfois plusieurs décennies avant qu'ils soient finalement "arrêtés" et reliés pour le bénéfice de leur propriétaire, un personnage de haut rang dans la société en général, un prince, un aristocrate, un bourgeois ou un ecclésiastique haut placé. Son dernier possesseur identifié est Henri-Charles du Cambout, duc de Coislin (1665-1732) qui a été évêque de Metz de 1697 à sa mort. L'illustrateur, qui a peint les armoiries est identifié et porte le nom de Séguier, mais on n'en sait pas davantage sur lui. 
ancienne étiquette d'identification du manuscrit, rédigée en latin,
sur la page de garde
armoiries du Grand Maître Aloph de Vignancourt (aussi orthographié : Alof
de Wignacourt) - la date (1500,1 16) indiquée à droite est étrange  - folio 22v.
  Ce manuscrit armorial comporte plusieurs sections, et pour commencer une très intéressante et belle présentation illustrée et armoriée de l'Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et de ses Grands Maîtres, depuis sa fondation à Jérusalem vers 1080, puis exilé successivement dans l'île de Chypre, puis à Rhodes et enfin à Malte. Le dernier Frère cité dans l'ordre chronologique du manuscrit, avec ses armes (ci-contre) est Aloph de Vignancourt (1547-1622), élu Grand Maître de l'Ordre en 1601, dans l'île de Malte.
 1601 :  voici donc une première date importante pour se rapprocher de la date finale du "bouclage" du manuscrit. On est au tout début du XVIIe siècle (durant le règne du roi de France et de Navarre: Henri IV)
 Les sections suivantes du manuscrit comprennent dans l'ordre : des armoiries peintes pour illustrer la généalogie de différentes grandes familles françaises et étrangères : dont les Vendôme, Guise, Dreux, Sully, Savoie, Ventadour, Choisy, Larchant, Gênes, les Treize Cantons Suisses et leurs alliés, de grands noms d'Espagne, d'Anjou, des compagnons de Guillaume le Conquérant, des maisons de Provence, de Paris  et tout à la fin: une série de villes de France et quelques grandes abbayes ou évêchés. C'est cette dernière section que je vais détailler dans mes pages.

  Comme je le fais pour l’Armorial de La Planche, je propose à titre indicatif et comparatif, placées en dessous de chaque page, les armoiries actuelles de chaque ville mentionnée. Cela permet ainsi au lecteur de se rendre compte de l'évolution ou de la constance du blason dans le temps en un peu plus de quatre siècles.

folio 105 r. (recto) :  Paris (Premier parlement de France)

PARIS

• Un Parlement était, sous l'Ancien Régime, dans le royaume de France, une cour de justice de dernier ressort, dite aussi cour souveraine, puis cour supérieure à partir de 1661, qui rendait la justice au nom du roi, dans un territoire délimité (voir liste des parlements et carte des zones d'autorité → ICI)

 • Voir l'évolution du blason de Paris, au siècle suivant,  avec La Planche (après 1669) ou d'Hozier (après 1696): → ICI


folio 105 v. (verso) : Lyon / Limoges / Poitiers / Angers / Bourges / Le Mans
.
Lyon
Poitiers 
Limoges 
Angers 
Le Mans
Bourges


• Vous pouvez vous exercer au petit jeu des différences et constater que seul le blason de Lyon n'a pas varié. A noter le blason d'Angers avec un chef à trois fleurs de lis, ce qui est assez exceptionnel, mais peut-être fautif de la part de l'auteur. Pour Le Mans, les trois chandeliers sont plus authentiques que les quatre actuels, en raison de la légende de saint Julien .

• Voir l'évolution des blasons au siècle suivant, avec La Planche (après 1669) ou d'Hozier (après 1696):
Lyon → ICI   Limoges → ICI     Poitiers → ICI    Angers → ICI    Bourges → ICI    Le Mans → ICI



folio 106 r. : Tours / Amboise / Orléans / Chartres / Vendôme / Blois
.

Tours
Orléans
Amboise
Chartres
Blois
Vendôme

• Juste quelques petites différences avec les blasons postérieurs et actuels :
- Champ d'azur au lieu de sable pour Tours, ainsi que des tours, non couvertes et sans girouettes, rajoutées plus tard.
- Champ d'or à deux pals de gueules pour Amboise, au lieu de palé d'or et de gueules provenant de la maison d'ancienne noblesse des Amboise.

• Voir l'évolution des blasons au siècle suivant,  avec La Planche (après 1669) ou d'Hozier (après 1696):
 Tours et Amboise → ICI         Orléans → ICI          Chartres →ICI           Vendôme et Blois → ICI


folio 106 v. : Angoulême / Loudun / La Rochelle / Pontoise / Magny-en-Vexin / Meulan
.

Angoulême
La Rochelle
Loudun
Pontoise
Meulan
Magny-en-Vexin

• On pourra s'étonner de la  ressemblance entre le blason de La Rochelle avec celui de Paris, à l'époque ! Seuls, le semé de fleurs de lis de Paris, à l'opposé des trois fleurs de La Rochelle, et l'émail de la coque du navire, en or, permettent de les différencier... Ce n'est que plus tard que la mer est devenue verte (sinople).. à La Rochelle.

• Voir l'évolution des blasons au siècle suivant, avec La Planche (après 1669) ou d'Hozier (après 1696):
 Angoulême et La Rochelle → ICI   Loudun → ICI   Pontoise → ICI   Magny → ICI   Meulan → ICI



folio 107 r. : Mantes / Montfort-l'Amaury / Dreux / Bellême, du comté du Grand Perche / Étampes / Nemours

.
Mantes-la-Jolie
Dreux
Montfort-l'Amaury
Bellême
Nemours
Étampes


• Sur ce folio 107 , quatre des six villes citées ont emprunté leurs armes à celles pleines, de grandes maisons de l'aristocratie qui y ont possédé à l'époque des fiefs, ou encore des apanages princiers qui leur étaient attribuées : le duché de Bretagne pour Montfort-l'Amaury, avec une couronne de surcroît, la maison de Dreux pour la ville de Dreux, le duché d'Alençon avec la ville de Bellême, dans le Perche et enfin la maison de Savoie-Nemours pour Nemours (pour plus de détails, visiter les liens ci-dessous).

• Voir l'évolution des blasons au siècle suivant, avec La Planche (après 1669) ou d'Hozier (après 1696):
Mantes, Montfort-l'Amaury et Dreux → ICI     Bellême → ICI     Étampes → ICI      Nemours → ICI




folio 107 v. : Montargis / Provins / Melun / Meaux / Senlis / Crépy-en-Valois
.

Montargis
Melun
Provins
Meaux
Crépy-en-Valois
Senlis


• On remarque la présence des initiales L F pour les mots : "Le Franc", placées sous l'écu de Montargis qui ont été associés un moment à la dénomination de la ville (Montargis-le-Franc). Les initiales ont par la suite migré et intégré le blason lui-même comme on peut le voir sur les armes actuelles (voir détails dans le lien ci-dessous).

• Parmi les quelques changements et augmentations qui ont affecté les armoiries de cette page, le plus remarquable est certainement celui de Senlis avec ce champ d'azur qui est étonnant. On connait parfaitement bien le blason de Senlis, inchangé depuis des siècles avec un champ de gueules au pal d'or. Et encore plus fort sont ces lis de jardin supportant l'écu, mis comme ornements parlants (cent-lis)! 


• Voir l'évolution des blasons au siècle suivant, avec La Planche (après 1669) ou d'Hozier (après 1696):
 Montargis → ICI                                 Provins  → ICI                                     Melun → ICI     
                            Meaux → ICI                                Senlis et Crépy-en-Valois → ICI  




C'est tout pour cette fois. Nous reviendrons très rapidement avec la suite de ce manuscrit très intéressant pour l'histoire de l'héraldique municipale de la France.
 C'est un témoignage jusque là peu connu, sauf  certainement par quelques érudits : historiens, chercheurs ou universitaires qui détenaient le privilège exclusif d'accéder et de pouvoir consulter ces trésors de notre Bibliothèque Nationale de France. Heureusement, l'excellente initiative opérée il y a quelque années maintenant de numériser les manuscrits et autres documents dormant dans les fonds des bibliothèques et archives publiques, dans le monde entier, permet maintenant à tous d'admirer ces merveilles, tranquillement installé dans son canapé de salon et de plus : gratuitement !

Suite de cette section du manuscrit consacré aux villes de France : feuillets suivants  → ICI  



 Crédits :
- Le manuscrit complet "Français 17256" est  consultable en ligne sur le site : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8528582x/
- Les blasons "modernes" proviennent tous du site incontournable :  armorialdefrance.fr
sauf celui de Montfort-l'Amaury qui vient de :  armoiries.free.fr
Je les remercie chaleureusement pour l'occasion.




          Herald Dick



1 commentaire:

  1. Bonjour et merci pour votre trouvaille.

    Ce document me paraît important pour mes recherches concernant les traditions étudiantes.

    Pourquoi?

    Précisément par l'abord de l'armorial destiné au premier des parlements de France : Paris.
    Suit une mise en ordre selon leur rang d'importance les autres parlements.

    Les parlements étaient deux choses : d'une part, l'endroit où était pratiquée la justice, et d'autre part, dans une approche tout à fait semblable à nos internes de médecine d'aujourd'hui, le fief des étudiants professionnalisés auprès des différentes études.

    Ceux-ci se nommaient "Royaume de la Bazoche" (et de nombreux endroits portent encore cette dénomination de bazoche ou basoche)en lien avec les juristes.

    Ces étudiants du Royaume de la Bazoche donc élisaient un roi (puis plus tard les dénominations évoluèrent en fonction des interdictions,passant même par le titre d'abbé!).
    Ils utilisaient un système féodal et toutes étaient inféodées à Paris, qui comptait même en son sein trois bazoches différentes qui se disputaient les juridictions. La bazoche tenait en réalité l'université de son fief, et donc tout membre de l'université devait en passer par elle. Elle possédait le droit de saisie par corps, de mise à l'amende, etc.

    Comment est-ce possible? Simplement parce que Philippe le Bel acheva la mise en place du système de centralisation et de modernisation de la justice pensé par St Louis, et devant l'ampleur de la tâche,donna aux étudiants les plus aguerris le droit de juridiction afin de décharger la justice des affaires courantes. La lettre patente de Philippe le Bel est nommée dans de nombreux endroits mais ne fut jamais retrouvée.

    Toujours est-il que je soupçonne votre document d'être avant-tout un document de la bazoche par plusieurs endroits.

    Sachant qu'en outre rien n'empêchait l'étudiant d'alors d'être possesseur d'une charge ecclésiastique, rien n'empêche pour le commanditaire de l'ouvrage de 'redorer' le blason de qui il juge bon,fut-ce lui-même.

    La page 16 montre deux sceaux peints, l'un de magistrats, l'autre d'hospitalier, et page 31 l'on trouve un collège d' hospitaliers juristes.

    Je ne maîtrise guère le latin, mais s'il se trouve qu'il soit un peu malmené, imagé, cela pourrait en outre être dû à ce que la bazoche, digne suite des goliards, produisait aussi des pièces de théâtre satyrique les jours de fête.

    Je pense donc qu'il s'agit ici d'un document de travail propre aux bazochiens afin de pouvoir se référer aux allégeances des seigneurs qui devraient être jugés par eux.

    Après, je ne suis qu'un artiste et chercheur en dilettante sur les traditions et les rites étudiants,je me trompe peut-être.

    En tout cas, si le sujet vous intéresse et que vous êtes sur Caen lapremière semaine du mois d'août, passez donc à la salle du Sépulcre afin de découvrir mon travail.

    Bonne journée.



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