lundi 6 octobre 2014

Héraldique et Art Nouveau #1 vers 1900 dans l'Alsace-Lorraine rattachée à l'Empire allemand

armoiries du Reichsland Elsass-Lothringen
(état impérial d'Alsace-Lorraine) créé en 1871 et
 rattaché à l'Empire allemand dominé par la Prusse.
(détail d'une carte postale héraldique de la firme Kohl
à Chemnitz éditée entre 1898 et 1914)
et les petites armoiries ci-dessous :
quartiers dextres :  1/Haute-Alsace -  2/ Basse-
 Alsace -  quartier senestre  : Lorraine.
  Lors de mes recherches documentaires pour illustrer les sujets sur fond de Première Guerre mondiale, j'ai fait la découverte sur quelques sites spécialisés, de belles cartes postales portant de jolis blasons de villes françaises qui ne m'étaient pas inconnus. Les noms de ces villes étaient juste un peu différents, car germanisés. Certaines de ces villes sont même difficilement identifiables pour un non germanophone, justement sans l'aide du blason !
  Ainsi allez deviner que Markirch était le nom germanisé de...  Sainte-Marie-aux-Mines ! Certes, étymologiquement, "Mar - kirch" est la contraction de "Maria kirche": "l'église de Marie". Mais, qui d'autre que les alsaciens peuvent savoir cela !

 Et le nom de Diedenhofen, cela vous parle-t-il ?
réponse ... Thionville ! ce n'était pas évident.

 Nous sommes donc vers 1900, en Alsace ou en Lorraine, la partie annexée par le IIe Reich allemand à la France suite à la défaite de 1870.
 Et au même moment un courant artistique est en plein essor en Europe (au-delà des frontières, pour le coup), dans de nombreux domaines : architecture, décoration, mobilier, illustration, peinture, etc...
 c'est l' Art Nouveau.



 .
Dans cette mouvance artistique, quelques maisons d'édition de cartes postales ont succombé aux charmes de ces arabesques et de ces motifs inspirés du monde du vivant : le végétal et l'organique, pour illustrer certaines productions en lithogravure. Et du coup, les dessinateurs d'armoiries s'y sont mis, eux aussi. C'est le cas d'un éditeur basé à Strasbourg : Hermann Wenng et Fr. Gabelmann dont je ne résiste pas à vous faire partager le charme de quelques cartes, et qui plus est toutes avec avec un décor différent. Évidemment, connaissant l'avis des théoriciens orthodoxes de l'héraldique, il est possible que nous puissions entendre de leur part des hurlements d'horreur ! Mais pour les autres, il faut admettre le principe de la licence artistique qui va de pair avec la liberté d'expression ... Car ce n'est que de l'art en fin de compte.

Ceci mis à part, on n'oubliera pas néanmoins que durant les 48 années pendant lesquelles les habitants d'Alsace et de la Moselle ont vécu sous l'administration et la loi prussiennes, de 1871 à 1918, elles n'ont sûrement pas été des années fastes et heureuses pour tous.

Markirch ( i/E pour Im Elsass, en Alsace) = Sainte-Marie-aux-Mines, dans le département du Haut-Rhin.
 Particularité du blason "allemand" : les éléments de la partition sont inversés. Le blason actuel est en effet :"parti : au premier d'argent
 aux trois écussons de gueules, au second d'or à la bande de gueules chargée de trois alérions d'argent ; sur le tout un écusson de sable au marteau et à la pointerolle de mineur d'argent passés en sautoir"
Diedenhoffen = Thionville, dans le département de la Moselle,
blason de la ville en haut à gauche "d'azur au château donjonné de trois tourelles d'or, celle du milieu plus haute, le tout
maçonné de sable", et armoiries de l'Alsace-Lorraine allemande en-dessous.

ancienne carte française de l'Alsace Lorraine allemande
 (cliquer dessus pour agrandir)
Metz dans le département de la Moselle.
"parti d'argent et de sable"
Saargemünd = Sarreguemines dans le département de la Moselle.
La ville est symbolisée ici par les armes pleines de la Lorraine, mais son blason actuel est : "parti , au premier d'or à la croix
 patriarcale de gueules, au second de gueules à l'alérion d'argent". L'illustrateur a rajouté comme soutiens des assiettes et un vase en faïence de Sarreguemines, qui a rendu célèbre cette ville en Europe.
Pfalzburg = Phalsbourg dans le département de la Moselle,
blason en bas à droite,  "parti : au premier de sable à la croix d'argent, au second d'azur à la fleur de lys d'or "
 carte éditée spécialement pour un congrès eucharistique en 1913.
Saarburg = Sarrebourg dans le département de la Moselle.
"d'argent aux trois demi-ramures de cerf chevillées de trois pièces de gueules, posées en bande et rangées en barre"
Hagenau = Haguenau dans le département du Bas-Rhin
Le blason officiel est "d'azur à la quintefeuille (cinq pétales) d'argent boutonnée de gueules". Ici c'est une quartefeuille (quatre pétales)
 et elle est "pointée" de gueules au lieu de "boutonnée".
Weissenburg = Wissembourg dans le département du Bas-Rhin
le blason officiel est "de gueules au château coulissé d'argent, ouvert du champ, ajouré et maçonné de sable". Ici il n'est
 pas ouvert du champ.
Zabern = Saverne dans le département du Bas-Rhin
Le blason actuel est : "d'or à la bande de sable chargée d'une licorne bondissante du champ, accornée et onglée d'argent"
Dans ce "blason allemand" le champ est d'argent, la bande de gueules et la licorne d'or. 
Bischweiler = Bischwiller dans le département du Bas-Rhin
"d'azur à une Vierge à l'enfant assise, les bras ouverts, le tout d'or et surmontée de trois étoiles d'argent ".
Strassburg = Strasbourg dans le département du Bas-Rhin
"d'argent (diapré) à la bande de gueules".
Molsheim dans le département du Bas-Rhin
le blason officiel est : "d'azur à la roue d'or de six rayons auxquels est attaché et lacé un homme nu de carnation nimbé aussi d'or".
 Ici le nimbe du martyr (Saint Georges) est absent.
Erstein dans le département du Bas-Rhin 
 le blason officiel d'Erstein est "parti : au premier de gueules à la bande d'argent côtoyée de deux cotices fleuronnées du même
(qui est de Basse-Alsace), au second d'azur au grand portail d'église au fronton classique croisé d'or, ouvert de deux portes,
 sommé deux tours du même couvertes en dôme, celle de dextre croisée aussi d'or".
  Ici , sur ce "blason allemand" les émaux sont étrangement inversés : est-ce une erreur de l'illustrateur ou est-ce une brisure
 volontaire pour marquer cette période de souveraineté allemande : c'est une question qu'on peut se poser. Enfin les deux
 objets qui ont été rajoutés brochant sur l'écu ne sont pas des obus mais des pains de sucre, comme on les commercialisait à
 cette époque. Erstein est en effet réputée depuis la fin du XIXe siècle et encore aujourd’hui pour son industrie sucrière.
Oberehnheim = Obernai dans le département du Bas-Rhin
"parti de gueules et de sable à l'aigle d'or brochant sur le tout".
Barr dans le département du Bas-Rhin 
"d'argent à la herse de sable".
Schlettstadt = Sélestat dans le département du Bas-Rhin
"d'argent au lion couronné de gueules".
Rappoltsweiler = Ribeauvillé  dans le département du Haut-Rhin
"d'argent au dextrochère bénissant de carnation, paré d'azur, posé en pal et accompagné de trois écussons de gueules"
Colmar  dans le département du Haut-Rhin
"parti de gueules et de sinople à la masse d’armes d’or posée en barre brochant sur le tout". Ici : la masse d'armes s'est
transformée en lance.
Muenster = Munster  dans le département du Haut-Rhin
Le blason actuel est : d'argent au portail d'église, les deux tours et le fronton sommés d'une croix, le tout de gueules, ouvert
 du champ, ajouré et maçonné de sable". Ici on a rajouté une terrasse de sinople. En soutiens : deux coupes qui  sont surmontées
 des célèbres fromages d'appellation d'origine protégée "munster". 
Gebweiler = Guebwiller  dans le département du Haut-Rhin
"d'argent au bonnet albanais de gueules retroussé d'azur". En timbre : une bobine de fil à coudre des anciennes filatures Schlumberger.
 Le paysage représente le Ballon (Belchen en allemand) de Guebwiller, un des plus hauts sommets des Vosges. 
Thann dans le département du Haut-Rhin
"parti : au premier de gueules à la fasce d'argent, au second d'azur au sapin arraché d'or"
Comme me l'a rappelé très justement un internaute (voir les commentaires) nous avons des armes parlantes avec le sapin
 (=Tanne en allemand ou Tànna en dialecte alsacien)

Mülhausen = Mulhouse  dans le département du Haut-Rhin
le blason de Mulhouse est "d'argent à la roue de moulin de gueules". Ici, l'illustrateur a fait une "ellipse artistique" en
supprimant l'écu, et donc les lions supportent directement la roue de moulin qui sont des armes parlantes de la ville (Mülhe = moulin).
 L'usine à droite pourrait être la célèbre société DMC ( Dollfus-Mieg et Compagnie) implantée à Mulhouse, et connue mondialement pour ses bobines de fil utilisées par les couturières.
Altkirch dans le département du Haut-Rhin
le blason "allemand" est "d'azur à l'église d'argent essorée de gueules, ajourée et ouverte de sable". Le blason actuel est:
"d'azur à l'église d'argent flanquée à dextre d'un clocher du même sommé d'une croisette d'or, le tout maçonné de sable,
essorée de gueules, ouvert et ajouré du champ, posé sur une terrasse de sinople".
Faut-il rappeler que "alt Kirche" signifie "vieille église" en allemand, qui explique les armes parlantes.



Nouveau sujet "Art Nouveau " → ICI


                 Herald Dick

10 commentaires:

  1. Bonjour,
    Pour Haguenau, c'est plutôt une quartefeuille qui est représentée (bien que ce soit une quintefeuille normalement).
    Et pour Thann et Altkirch, on remarque que ce sont également des armes parlantes (en allemand).
    super boulot, comme d'habitude.
    merci pour ce blog...
    Olivier.

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    1. Très juste ! effectivement le blason "français" désigne une quintefeuille et celui que nous avons là
      montre une quartefeuille. Je rectifie.
      et merci pour le compliment ! c'est toujours encourageant pour moi ...

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  2. Belle découverte et superbe dossier ! Les cartes postales sont belles, en effet. J'y suis d'autant plus sensible qu'il s'agit de ma région d'origine. Je ferai un lien sur Héraldie prochainement. Bonne journée, Herald Dick.

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  3. bonne journée à toi , Marc
    et merci !

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  4. Bon n'oublions pas non plu que l'Alsace a été pendant des siècles terre du St Empire et que des noms de lieux comme Hagenau, Mulhouse, Strasbourg, Obernai etc... Ont étés francisés. En Suisse, il y a l'exemple connus de Fribourg (en Nuithonie) qui étymologiquement, en français ne veut rien dire ! Ancienne cité germanique devenue majoritairement francophone, son nom et Freiburg (im Üechtland). La ville des gens libres. En effet, par charte, un sujet qui se réfugiait dans les murs et qui n'était pas réclamé pendant 366 jours était reçus bourgeois de la cité et devenait libre.

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  5. Très juste ! sinon il aurait fallu traduire Freiburg par Villefranche ou Francheville en français ! il y en a déjà beaucoup en France !!

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  6. Bonjour Dick,
    Belle collection 'Art nouveau' !
    Concernant Guebwiller: la bobine de fil représente plutôt la famille Schlumberger (et non DMC) qui détenait d'abord une filature, mais qui dès le XXème siècle s'est spécialisé dans la fabrication de machines destinées à ces dernières. Elle produit toujours (NSC) des machines permettant de filer toutes sortes de fibres.
    Quant à Mulhouse, les usines avec les hautes cheminées sont celles des filatures DMC (Dolfus-Mieg &Cie). Bien qu'étant le siège des MDPA (Mines domaniales de potasse d'Alsace) il n'y avait pas de puits à Mulhouse (mais à 10 km pour les plus proches). Sinon, je pense, que l'illustrateur aurait dessiné un chevalet de mine. Mais présent "les fils sont coupés" et les gisements de potasse épuisés ...

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    1. Merci pour ces précisions fort utiles, qui me manquaient dans ma documentation.
      Il est important de mettre des textes corrects pour commenter les images.
      J'ai donc rectifié les légendes en conséquence.

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  7. Bonjour,
    l'idée de votre article est fausse !... Ce ne sont pas les Allemand qui ont germanisé des noms Français, mais bien l'inverse.Je vous rappel que l'Alsace est dans le giron de la France "que" depuis le 17ème siècle. Jusque-là, l'Alsace était germanique et tous les noms de lieux, de villes, etc l'étaient forcément aussi. Pour Ste Marie aux mines, le nom germanique "Markirch" est attesté dès le 15ème siècle.

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    1. Les idées sont parfois plus subtiles à saisir quand on pense globalement différemment ;) Mais j'aurais dû mieux expliquer le parti pris c'est possible ...
      A aucun moment je ne prétends que les noms francisés ont l'antériorité dans l'histoire de l'Alsace, ça c'est évidemment faux. Je me met à la place d'un observateur en 1900 qui tombe sur ces cartes aux noms bizarres mais avec des blasons familiers : JE RACONTE UNE PETITE HISTOIRE à un moment donné autour d'un dessin héraldique, mais pas l'Histoire de l'Alsace avec un grand H depuis le Néolithique !!!

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