jeudi 20 octobre 2011

Les Fondamentaux #02 : Six Couleurs / Gueules


Je poursuis notre petite révision entamée il y a une quinzaine de jours
 ( voir mon blog précédent ) où nous avons parlé d'Azur. Cette fois c'est de "Gueules" que nous parlons, et ce n'est pas une insulte ( je m'adresse aux non initiés au langage héraldique ... ;-).



Gueules - les Rouges

 Etymologie :
 Gueules est donc le mot spécifique à l'héraldique désignant le rouge, et donc ce mot a disparu du vocabulaire dans tous les autres domaines artistiques où l'on l'en emploie cette couleur.

Martre commune ( Martes martes)
  Sa naissance n'est pas très bien établie.  Certains héraldistes ont attribué l'origine du terme à un mot d'origine persane :  gul ou ghiul, qui désigne plutôt le rose. Cette hypothèse  est douteuse, et sa supposée localisation incertaine. Le mot latin gula est plus plausible , puisqu'il se rapporte à la gorge,  au gosier y compris celui des animaux qui est souvent rouge ...
 Le terme « gueules » était couramment utilisé au Moyen-Âge, dans le vocabulaire des teinturiers pour désigner la fourrure de petits mustélidés (martres ou hermines) teinte en rouge pour accentuer la couleur naturelle du pelage.
 Le mot a été utilisé dans une lettre écrite par Bernard de Clairvaux (Saint fondateur de l'Ordre monastique Cistercien) :
- extrait du " Dictionnaire de la langue françoise, ancienne et moderne, Vol. I "
  de Pierre Richelet (1756) :



Les pigments naturels rouges, sont connus depuis l'Antiquité : d'origine minérale ( cinabre ou vermillon , minium ou céruse, rouille, ocre ), végétale (racine de garance) ou animale ( murex, carmin ou cochenille), etc..
Cristal de cinabre ou vermillon - Sulfure de Mercure (HgS)
  
falaise d'Ocre ( Provence)


















Les nuances du rouge dans l'Art :


CouleurNom
Incarnat
Nacarat
Grenadine
Framboise
Fraise
Anglais
Fraise écrasée
Pourpre
Amarante
Carmin
Bordeaux
Bourgogne
Capucine
Corail
Ecarlate
Feu
Vermeil
Garance
Tomate
Vermillon
Cinabre
Rouge
Alizarine
Coquelicot
Groseille
Ecrevisse
Cerise
Cardinal
Bismarck
Andrinople
Cramoisi
Sang
Sang de boeuf
Grenat
Tomette
Brique
Senois
Pourpre

 Nous l'avons vu la dernière fois : les nuances ne sont pas prises en compte en héraldique.
Sauf que dans cet exemple -ci , nous en avons une :  le pourpre  qui est réellement une couleur héraldique à part , dite " secondaire", nous l'étudierons plus tard ...  car elle a une particularité par rapport aux autre couleurs.

 Parlons symbolique maintenant : le rouge est une couleur ambivalente exprimant tantôt le bien , tantôt le mal...

Milasín , village
(République Tchèque)
-  C' est la couleur du sang, et par extension le cœur , les muscles, les lèvres.  Donc on l'associe à l'amour, la passion, la vie , la force vitale. Dans la nature , le rouge est assez rare: surtout des fruits, quelques rares fleurs : rose, coquelicot, pivoine, très peu d'animaux, et quelques roches.

- Le sang c'est aussi celui versé au combat, le feu, la guerre, le danger, comme avec nos panneaux routiers d'interdiction.

- Le rouge est associé depuis l'Antiquité, au Diable et aux démons de l'Enfer. Dans les légendes médiévales, le Chevalier Rouge est un combattant hostile et dangereux, souvent félon, envoyé pour faire le Mal.  Exception faite de Perceval  qui porte cette couleur symbole dans la légende de la Table Ronde, on lui attribue même le blason imaginaire : de gueules plain .

Roman en anglais (Parcival)
Roman en allemand : Parsifal
  
 





















 
Restons dans la chevalerie : nous avons vu la fois précédente comment les souverains de France avaient choisi le bleu (azur) comme emblème. C'est donc tout logiquement que les rivaux et adversaires du royaume ont choisi le rouge !

le Duc d'Aquitaine
Armorial équestre de la Toison d'Or (XVe siècle) - folio N° 51vo
à cette époque le Duché d'Aquitaine est une province anglaise , car l'ancien Duché n'existe plus
 en temps que tel depuis l'union  d'Aliénor en 1152 avec le Roi d'Angleterre Henri II .
  Dès lors , le Duc est toujours un Prince de sang royal , le fameux Prince Noir, 
 fils du roi Édouard III, a été l'un d'entre eux (1362-1372).  

 Le chevalier Perceval a reçu "d'office" un blason de gueules plain imaginaire, c'est une chose, mais il existe quelques autres cas cette fois bien réels dans l'Histoire, les voici pour la France :

Vicomtes de Narbonne, lignée éteinte au début du XIIe siècle
 et la nouvelle lignée Narbonne-Pelet , avec le chef de sable
"de gueules plain", pour un descendant de la famille de Narbonne, seigneur et Comte de Clermont
 Armorial Général de France de Charles-René d'Hozier (1696) - Généralité de Guyenne - Volume 13 - page 656
La première lignée des Comtes d'Albret, en Aquitaine,
avant que l'écu soit écartelé avec les armes de France
par décret royal, après la bataille d'Azincourt (1415),
où le connétable de France, Charles d'Albret trouva la mort.

 Enfin pour terminer ce chapitre , voici un cas unique de blason "plain" existant pour une commune en France : la ville de Douai , dans le département du Nord . Record de France du blasonnement le plus court : 3 mots =  "de gueules plain"

Ville de Douai  (France- Nord)
Armorial Général de France de Charles-René d'Hozier (1696) - Généralité des Flandres - Volume 12 - page 138
  Connues depuis le XIIIe siècle jusqu'à nos jours, ces armes ont régulièrement été enregistrées dans les armoriaux, notamment dans l'armorial d'Hozier. Les armoiries portent la Croix de la Légion d'Honneur, conférée à la ville par décret du 13 septembre 1919 et les Croix de Guerre 1914-1918 et 1939-1945.









   On trouve parfois sur certains documents un blason rouge chargé d'un "d" en lettre minuscule gothique d'or au centre. Certains imprimeurs et illustrateurs (cartes postales par exemples) répugnaient en effet à voir cet écu désespérément "vide" !  Et l'initiale "d" pour Douai, en écriture gothique, pour faire "ancien", a été fréquemment rajoutée aux armoiries (voir ci-dessus). Mais, contrairement à ce que je pensais initialement, ce rajout au blason "de gueules plain" n'est pas une invention fantaisiste, car je l'ai trouvé parfaitement décrit et dessiné : "de gueules à la lettre d à l'antique d'or", dans un manuscrit de la fin du XVIIe siècle (ci-dessous). Je fais donc mon mea culpa à l'attention de ces illustrateurs qui n'ont en aucun cas dénaturé l'esprit du blason municipal.
 
extrait du manuscrit de Pierre de La Planche : La Description des provinces et des villes de France, volume I  (1669) - Bibliothèque du musée Condé - Château de Chantilly

 Néanmoins,  le "d à l'antique " a été réinterprété très bizarrement comme une flèche pointée sur un cœur  par un célèbre éditeur de carte postale au milieu du XXe siècle ! et là... dans le genre délirant , c'est un must !! 
carte postale de la collection Barré & Dayez parue dans les années 1950
 Tout ces errements n'ont pas perduré, et c'est tant mieux, car à mon avis c'est un des plus beaux blasons qui soit et il a près de 800 ans d'âge. Donc respect : les armes et bannière de Douai sont définitivement fixées "de gueules plain" et les habitants en sont très fiers, ils l'on même maintenu dans le logo actuel.   
 
Logo de la Ville de Douai
avec le géant Gayant  : autre symbole
(non héraldique) de la cité

Monsieur et Madame Gayant, les deux Géants de Douai 

 

Voilà , on arrête là avec le rouge , car c'est à consommer avec modération .
La prochaine fois , nous nous intéresserons à l'or et à l'argent . Mais pas pour faire fortune , juste pour s'enrichir (l'esprit !!) . A bientôt....


       Herald Dick

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